Avec mon bic je me gratte le coin du sourcil
Avec mon bic je siffle dans le capuchon
Avec mon bic je mordille le bout du stylo et j’enlève la pastille de couleur
Avec mon bic je recoiffe une mèche
Avec mon bic je joue à la majorette
Avec mon bic j’indique la direction par où fuit mon regard
Avec le bouchon de mon bic je tapote ma lèvre inférieure
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Mon bic est noir et élégant il glisse des mots sur la feuille il me glisse une ou deux idées au passage parfois je lui enlève son chapeau et lui mordille le capuchon parfois je le démonte pour voir ce qu’il a dans le ventre il a beau être transparent je veux goûter son encre du coup il m’en mets plein les doigts sur les lèvres et la langue pour me venger je mordille son plastique qui finit par s’émietter entre mes dents vengeance pour vengeance œil pour œil et dent pour dent impossible d’écrire encore tâches sur ma feuille je n’ai plus qu’à le mettre à la poubelle et aller à la salle de bains me débarbouiller il n’a pas dit ce que je voulais il a perturbé mes pensées c’est bien fait pour lui
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Elle est seule face à la nuit, assise recroquevillée sur le lit, détendue, ses genoux entre les bras, et elle observe droit dans les yeux la lune, ronde, pleine, une note de lumière pâle qui l’éclaire elle et la chambre. Elle repense dans cet hôtel à toutes ces heures creuses, à toutes ces heures vides, toutes ces heures pâles de la nuit où elle attendait je ne sais quel miracle, je ne sais quelle force, je ne sais quelle puissance. Et elle savait que dans cette attente même le miracle se produisait peu à peu, la force était tendre, la puissance douce. Et cette lumière blanche face à laquelle elle était profilait son ombre derrière elle, et elle aimait la présence de cette ombre noire contrastant avec cette clarté. Dans le bleu de la nuit, il y avait l’immensité, et c’étaient les rares moments où elle se sentait vraiment libre, dans cette chambre de passage. Demain elle reprendra sa route, entre bus,train, gares routières et chemins de fer, et partout cette tendre force, cette douce puissance l’accompagnerait le temps de la nuit. C’est dans ces moments là qu’elle faisait ses plus beaux rêves. Demain elle partira à l’aube et prendra le café dans un bar du coin en couchant sur le papier ces rêves, ce pan de bleu, ce pan de vert, ce pan de blanc, cette ombre qui racontera ce qu’elle est, une femme en itinérance dans le monde.
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Il est cinq heures et je me réveille difficilement. La cafetière attend sur la table. Elle a le cul sale à force d’être léchée par le feu. C’est une italienne. Les italiennes savent faire le café. Je la dévisse, je remplis sa partie basse d’eau, sa partie médiane de café, je la mets sur le petit feu à plein gaz et attends qu’elle fasse sa popote. Pendant ce temps, feuille filtre et tabac, je roule une cigarette, et puis attendre son chant. Le chant de la délivrance, le chant de la cheminée qui crache ses dernières giclées, le chant du réveil.
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Franck