Art scriptural Atelier d'écriture Bachelard Deux Mil Vingt

La clé oubliée

En rangeant les affaires dans le tiroir du bureau, je découvre cette vieille clé en métal rouillé, longue, large, avec ce cœur en creux dans la partie que l’on tient dans la main.
Je la croyais perdue, je l’avais oubliée, et voici que me revient à la mémoire cette petite masure du col de la Croix-Morand qui servait aux bergers et auquel j’avais coutume de me rendre avec Lucie, jouant aux cartes parfois avec des amis, ou bien encore seul pour y lire et y écrire.
J’avais dix-neuf ans, j’étais ivre de la vie et de la nature, alors que depuis je travaille à Clermont-Ferrand comme graphiste, dans le cercle restreint de cette petite ville, de Béatrice qui est morte il y a trois ans du crabe, et des enfants qui sont partis, Léonie à Paris et Jules à Lyon.
Bien sûr le week-end il y avait les voyages, mais plus loin, mais dans d’autres régions, et jamais en tous cas à la Croix-Morand.
Je décide de prendre à l’instant la voiture et de m’y rendre. Sur le chemin, mon cœur bat fort, c’est un beau jour d’automne. A la montée du col je regarde les rochers, les moutons, les prés, et je suis ébloui. La ferme qui appartenait à mes parents est plus bas dans la vallée. Je laisse la voiture en contrebas et décide d’aller à pieds. Je revois Lucie courir avec sa robe mauve dans les coquelicots, un jour de pluie où le tissu lui collait à la peau. Je revois Mattéo jouer avec son diabolo et ses quilles à jongler, je revois Pierre fendre du bois pour le feu, je revois Luis qui l’allume.

La masure est là, il y a de vieilles brindilles sèches et du bois sous l’appentis. Mon cœur bondit quand je prends cette clé dans ma main, la serrure grince. C’est poussiéreux mais tout est là, le fond de mirabelle dans la bouteille, le vieux réchaud à gaz et la cafetière. Je commence par faire un feu, le soleil est en train de se coucher, par la lucarne je vois le ciel incendié. Le feu craque. Je m’assieds, sers un fond de gnole dans le verre crasseux, et roule un cigarette. Je repense à ce soir là, avec Lucie, quand nous avions dormis l’un contre l’autre pour nous tenir chaud, et où j’avais rêvé, je me souviens, d’un cheval au galop dans la Camargue.

Lucie était un peu folle, elle a disparu dans son premier shoot d’héroïne, je n’ai jamais pardonné à Mattéo et Pierre qui étaient avec elle, et puis ce fût le fin de tout cela. Alors je prends le vieux bloc de papier et j’écris ce qu’aurait dû être notre histoire. La pluie se met à tomber et les larmes à couler. Pourquoi donc mon encre s’est-elle figée dans mes veines pendant plus de quarante années ?

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