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La plus belle histoire

La plus belle histoire, ce n’est pas celle que j’ai vécu. Celle-là a eu ses moments de lumière, mais je me refuse à en détacher une partie pour la glorifier. Et au vu du temps qui passe, des développements, des œuvres inachevées et des œuvres posthumes, je sais bien trop quelle a été la destinée de ces histoires là. Je pourrais bien sûr cultiver la mémoire des moments heureux, mais si je veux être franc les belles histoires de ces liens d’attache ont toujours finies en abandons. Si bien qu’abandonné des autres, j’ai fini par m’abandonner avec détachement dans les bras du temps présent. Ce temps là est bien une belle histoire, mais trop évanescente pour que je la raconte. Elle est contemplative, et elle se dissout dans l’atmosphère. Ce qui fait la beauté de cette histoire là c’est justement de ne rien se raconter, de ne rien construire, de ne rien contrôler, une certaine poésie de l’absurde où l’on peut s’attendre à tout. Je pourrais bien me dire que la plus belle histoire c’est celle qui reste à écrire, histoire de me gonfler d’espoirs comme une voile gonflée par les vents du voyage. Mais plus sincèrement je n’y crois pas trop. Ce n’est pas par peur des bourrasques et des tempêtes, non, même s’il ne fait pas bon être marin par gros temps. Non. Mais j’envisage mon histoire à venir comme une mer d’huile sans un brin de vent. Je sais trop bien que peu de choses adviendront, je sais trop bien que dans son essence la vie restera la même. Et après tout cette huile essentielle a un parfum apaisant et là bas , au loin, on entend comme une réminiscence du chant des sirènes qui rendent la situation encore assez séduisante. Bref, la plus belle histoire, ce n’est pas la mienne. Et pour parler franc, celle des autres m’intéresse relativement peu, ayant perdu tout intérêt de l’échange dans les sens uniques et les impasses. Ou peut être m’intéressent elles de trop près pour que je les raconte. Mais alors, il ne reste rien ? Si, il reste les histoires que j’invente, qui sont autant de mensonges incroyables. Et ce qu’il y a de bien quand on raconte des histoires, ce n’est pas tant le sens de tous ces événements enchaînés, mais c’est surtout comment on la raconte. C’est cela qui la rend incroyable, c’est cela qui en fait la beauté. Et à vrai dire, de nos pauvres vies qui ne sont pas très héroïques, c’est surtout cela qui restera à la fin dans la balance : la manière plus ou moins subtile dont nous les avons vécues, par delà les bonnes et les moins bonnes choses de la vie. L’art est dans le comment, il est dans le cheminement. Après tout pour un artiste il n’y a que rarement des résultats. Mais résoudre l’équation, quel beau travail !

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