« J’ai les pieds gelés
Mais je me souviens
Du mois d’août soixante-quinze
[…]
Mais y’a guère qu’un amateur
Pour cent mille navigateurs
Un seul conteur
Pour cent mille baratineurs »


CharlÉlie Couture



À D.-G. Gabily


Aporie verbale : ne pas trouver les mots pour le dire.
La demeure luisait d’une froide électricité.
Au-dedans même il ne faisait pas chaud, le vent qui passe à travers les vitres.
Les murs ne protégeant de rien, c’est le froid qui mord l’échine, c’est la soupe qui ne rassasie pas, c’est le pain qui cale l’estomac, c’est le corps calleux qui fait mal après les travaux du jour.
Impossible donc d’oublier l’hiver.
Attente agissante par l’espoir du retour des beaux jours. L’hiver est dur mais ne dure pas toujours.


C’est là, dans cette ruelle vétuste, que j’ai vu les hommes s’élever contre Dieu, lutter contre leur humaine condition, souffrir en leurs corps les douleurs du labeur, les oublier dans des fantasmes alcoolisés. Monstres qui relèvent la tête pour l’insulter, lui et son monde imparfait, ô sainte colère d’athées !


Qu’est donc ce cri coincé dans la gorge ?
Une réaction ancienne et presque oubliée, perdue au fin fond de l’être, contre l’angoisse de la destruction.
Fragilité quotidienne et instabilité violente.
Ce cri qui m’exploserait au moment même où il sortirait de moi.
Donc plutôt : réinventer le réel par l’imaginaire.
Je suis reflet du monde et je me montrerai autrement pour le faire mentir.


Attente du dénouement de mes viscères entortillées autour de sentiments voilés.
Il n’est que de dire, de prendre le risque de dire et sentir cette chaleur affluer effectivement au visage écarlate.
La honte, cette féminité de l’homme.


Je me mets à genoux sur la terre.
La terre rouge de tout ce sang répandu.
Elle est gorgée de la douleur.
Je prends cette poussière d’hommes, les sueurs des travaux et des angoisses y sont mêlées.
Je m’en nourris, c’est tout ce qu’il reste comme aliment à qui est de cette terre.
Et il faut savoir goûter l’amer.
C’est l’essentiel de ce qu’il y a à savoir pour qui est de ce monde.


Avoir des mots à écrire qui sèchent au bord du stylo.


Désir d’écriture en tant qu’exutoire : exit la confusion.La vie, perpétuel mouvement.
Méfance du repère : danger potentiel.
Le repère lui-même fuit en cette course du monde sur lui-même.
Le monde est une boule dans la houle.
Une boule – d’angoisse.
Ballottement sur les trajectoires diverses qui s’organisent autour de forces contradictoires.
Écœurement.
Malaise.
La sobriété est une technique d’autruche pour ne pas voir ça.
In vino veritas – la vérité est-elle dosable ?
De fortes quantités d’alcool ingérées augmentent la quantité de sucre dans le sang, le sucre est ingéré grâce à l’eau, l’organisme se déshydrate et la tête me tourne.
L’eau est la Vie. Son manque une approche de la Mort.
La traversée du désert éthylique.
Celui qui apprend à connaître la mort apprend à connaître la vie.
Chaque image perçue par l’organe œil dans son regard extatique est alors vertige.
L’organe œil contemple la chute.
Enlisement dans ces images tel le pied dans les sables mouvants.
Valse lente qui tourne et retourne le cœur.
On n’a que nos deux yeux pour pleurer.
Et c’est bien une sorte de pleur que je tente d’assécher paupières closes.
Je pensais que c’était un phénomène physique incarné en l’organe.
Maintenant la porte de l’œil ne te permet plus de distinguer le seuil entre interne et externe.
Et ton corps tu ne le sens plus.
Et il n’y a plus de limites.
Et ton être est le cosmos.
Et le cosmos n’est que relatifs tournoiements gravitationnels.
Et à cet instant tu perds pied.
Retrouver une amarre. Éviter la noyade.
Je jette l’encre dans mes abysses. Comme s’il s’agissait d’abysses. Comme si la notion de l’être ne recouvrait un abîme.
Trouver l’axe du mouvement. Immobilité autour de laquelle tout tourne.
Plus je m’en rapproche, plus rapide et plus serré ça tourne.
La vérité est qu’une fois engagé dans cette direction nul retour possible.
La vérité est que le seul moyen d’y échapper est de trouver l’axe.
La vérité est que c’est insupportable.
Une voix qui dit : « on va le perdre ».
C’est cela…
Toi, tu me perds. Moi, je me sauve.
Fuite éperdue.
Tentative désaxée de rejoindre un axiome.
Toute gravitation est éphémère.
Le vrai sens du corps qui gravite est de rejoindre le corps autour duquel il gravite.
Il le tente et le retente.
Deux masses ont volonté de n’en être qu’une seule et c’est pourquoi elles s’attirent.
La gravitation n’est qu’une parade de séduction où les illusions sont une orbite qui se joue d’elles.
Désir de rejoindre ma masse.
Désir de rejoindre mon axe.
Tout corps dans le cosmos est porté par le même désir.
Une danse d’union.
Un équilibre qui stabilise la perte et le vertige.
Un apaisement.
Le début de…


J’ai envie d’écrire comme on se dessoûle d’une soirée passée dans le dionysiaque, dans la sauvagerie, dans l’affirmation de son énergie comme volonté de puissance vaine, inutile et nécessaire.
Une échappée des échappements.


Caresse et chatouillis des poils pubiens sur mon visage.
M’enivrer de ce sous-bois humide qui est le lieu de ma petite mort, celle qui un jour donnera la vie j’espère à une sorte de continuité différente de moi-même.


Et j’ai pleuré des larmes amères.
J’ai déploré cette mer houleuse qui m’entraînait au fond de ses lames.
Et j’ai décidé que non, ce ne serait plus ça.
Et j’ai décidé que ma idiotie aurait le mors aux dents et arracherait sa bride.


Cela fait déjà bien longtemps que le domaine de mes pensées a décroché du réel.
Et le réel vient anéantir une vie d’élaborations vacillantes.
Que de temps perdu à tenter de s’accommoder de la réalité, que de temps vécu seulement en imagination.
Dichotomie floconneuse et silencieuse comme l’hiver.
L’idéal archétypal construit la perspective, il en est le pont de fuite.
Ne pas être aveuglé par le premier plan.


La vérité n’est ni dans le réel ni dans l’imaginaire. Le mensonge non plus.
Le réel et l’imaginaire contiennent tous deux en eux une part de vérité, mais on ne peut en exclure l’erreur.


Extraire le suc jusqu’ à l’amertume.
Persévérer jusqu’ à la limite.
À la limite se trouve le passage frontière de la béante néantisation.
Et s’il ne s’agissait que d’accepter de disparaître ?
Et s’il ne s’agissait que de boire un vin amer jusqu’ à la lie pour ensuite dégriser aux dernières lueurs du jour ?
Creuser, creuser sa tombe. C’est tout ce que l’homme fait à longueur de jour, pour ensuite reposer ses membres fatigués dans la position mortuaire.
Mais il y a aussi des amis qui viennent boire un vin doux et discuter entre deux temps de labeur.
Et il y a encore le découragement, le désespoir de tout.
La limite est là, quand il devient impossible d’accomplir quoi que ce soit correctement.
Quand de petite erreur en petites erreurs il ne reste qu’approximations.
Flétrissure de l’orgueil.
Apprentissage de l’humilité.
Cet orgueil qui me tenait en vie, et cette peur qui me prend de le lâcher.
Ce n’est pas que mon écriture ne fasse pas sens, ce n’est pas qu’elle ne soit pas belle. C’est qu’elle reste encore incompréhensible pour la majeure partie des personnes, selon les cas.
Comment se faire entendre au milieu de tout ce bruit de batailles qui se livrent sous mon crâne ? J’écris comme on fouille la vase dans l’espoir d’y trouver encore quelque chose.
Il me faudrait un canevas sur lequel broder, et ce serait peut-être beau de le faire.
Il faudrait surtout que j’oublie tout le conditionnement de ceux que je me suis donnés pour maîtres. Cette phrase-là est venue toute seule, pas besoin de la faire jaillir de mes doigts. Sans doute est-elle vérité.
Sans doute. Une expression que j’aime bien. L’absence du doute. Ni savoir ni connaissance mais donnée innée.
Et encore savoir-sagesse et connaître-naître avec.
Finalement mes maîtres m’ont appris qui je suis.


J’ai vécu dans la culpabilité vis-à-vis de la papesse.
Pour sauvegarder mon innocence, j’ai pris le parti de la désobéissance.
Mon existence est protestation envers la Loi.
Mais si tu ne recherches que l’interdit, tu restes conforme à la Loi, simplement inversé.
Abolir la Loi pour tourbillonner libre comme une feuille d’automne.
Fuir la condamnation.
Le goût de l’évasion appartient à ceux qui se sont construit une prison.
Comment découvrir son Soi quand on agit selon les autres ?
Dépasser toute mesure pour arpenter les voies de la création.


L’enfant est image de ce qui n’est pas encore, de ce qui n’a pas été.
L’état d’innocence est une perle de ce monde qui doit rester au cœur du coquillage.
Pourvu que l’enfant désobéisse à ses parents, c’est ainsi qu’il peut leur apprendre quelque chose. Le monde est un jouet que l’on casse pour savoir comment il est fait, de quoi il est fait.
L’amour d’une mère est le meilleur apprentissage de la vie, car la vie est amour.
Un enfant apprend mieux à ne pas refaire une bêtise quand on la lui pardonne.
Un enfant apprend à devenir cruel en observant la cruauté des adultes.
Il redit cette cruauté nue. Pourvu qu’il apprenne aussi quelques ritournelles amourachées.


Papesse, tu as fermé devant moi la porte du soleil et tu as réprimé les éclats de mon rire devant cette absurdité de l’existence, qui n’est une atroce dérive de l’homme.
Tu avais à tes côtés la lune qui en même temps qu’elle sondait les secrets de mon âme m’empêchait de transformer celle-ci.
Tu enseignais une universalité et tu recommandais de ne rien omettre. C’est un abîme que tu me proposais là, partant certes de tes bons sentiments, mais il me fallait la lutte aussi, la résistance.
C’est comme si tu proposais un oui perpétuel, mais je sais que la terre qui est mon port d’attache est un lieu de contradictions où dire oui à quelque chose c’est aussi dire non à d’autres choses. Et cela est ma liberté, de dire non.
Mais ton lieu d’attache à toi il est au ciel, et si bleu ou si noir et si beau qu’il soit avec ses étoiles, ce n’est qu’un moyen de diriger ses pas ici-bas. Or enfant c’est comme si je ne voyais que cela, ce ciel, et mes pas trébuchaient sans cesse sur le sol. Et je ne désirais qu’en finir vite avec ce port d’attache et partir me noyer dans la mer et ses abysses.
Je me demandais : d’où viens-je ?
Mais aujourd’ hui je réinvente ma destination, elle est autre que celle que tu m’as enseignée.
Et surtout je suis de cette existence et de ce lieu où je me tiens debout contre vents et marées. Le voile n’est pas derrière moi, il est au-delà et il est tenu par une femme qui danse sa séduction, et je me laisse faire, docile.
Tu m’as donné des cartes, et j’ai joué, et j’ai perdu parfois, mais la donne est refaite par d’autres que toi et par amour du jeu je prends ma revanche.


Il était très très très très très trop tôt…
J’étais encore tout endormi et maman et mamie me bousculaient car il fallait aller vite.
Je me rappelle très bien du bon chocolat chaud qui mettait
Un peu de douceur dans cet univers suranimé du départ.
Et puis on se rendait sur la grande place à côté de la cathédrale. Qu’elle était grande et comme elle m’impressionnait,
Je regardais de tous mes yeux les gargouilles
Et je me faisais reprendre car j’avais failli perdre les adultes dans ma contemplation.
Il fallait trouver son bus
Et écouter les recommandations de dernière minute :
Bien écouter les moniteurs, être sage, écrire un petit mot,
Et rassurer les inquiétudes des parents qu’ils exprimaient en essayant de nous faire croire que c’était nous qui pourrions être inquiets :
Tu pourras voir tes frères et sœurs de temps en temps, nous t’écrirons,
Ça va aller ?
Et l’attente interminable du départ, les adieux qui se prolongent, qui n’en fnissent plus,
Ne plus savoir comment se regarder à travers la vitre du car,
Et puis c’était le départ,
Un dernier petit coucou de la main,
Et l’aventure qui commençait


Choisir le cadre. Délimiter ce qui doit rester large.
Ma peinture serait-elle le reflet terrible de ce monde ?
Nietzsche poétise la danse. L’histoire est exécutée par des tueurs sanguinaires.
Je cherche à m’imposer mes propres limites.
Finalement, les entassements de cadavres restent toujours trop hors champ.
Les fonctionnaires soumis et zélés, je les exclus.
Je souhaite que mon cœur se consume dans une flambée d’espoir.


J’aie envie d’écrire pour poser une fenêtre dans le mur du réel.


Killer eye !
Toujours à l’affût dans le regard du moindre petit indice.
Toujours cette volonté de comprendre ce qui se passe là, dans cette rue où je passe.
Toujours tourné vers l’extérieur pour y saisir le reflet de mes flux internes.
Toujours accroché à l’autre en tant qu’objectivité de mon esprit, y saisissant la plupart du temps ce verdict : Fou !
Saisissant le décalage, apprenant les positions respectives, cherchant des moyens d’approche de l’autre et de moi-même.
Et mon regard de tueur.
J’ai un regard de tueur à l’instant où je saisis chez quelqu’ un que tout ce que je vois en lui n’est que ce qu’il veut bien me laisser voir, quand je saisis que tout cela n’est qu’apparence, et que derrière ces apparences il n’y a rien, ou pour dire mieux que cette personne ne me laissera jamais voir plus loin que ces apparences… Il y a un tel contrôle de l’être là-dedans, si peu de spontanéité, oui, toute spontanéité tuée et tout le reste calculé par anticipation d’effets, ces hommes qui font d’eux leur propre marionnette, bien loin de tout confit interne, dont tout l’art est de maîtriser les conflits externes – sans difficulté car ils ont entre leurs mains le poids le plus lourd de la balance : le pouvoir – et d’éteindre la flamme, ces pompeux pompiers me donnent envie d’être un incendiaire.


Son visage regardait devant lui, et son regard était oblique, une bonne manière de surveiller ce qui se passe de ci de là.
Il me regarde, cet homme seul.
Il me regarde, qu’imagine-t-il ?
Il me demande peut-être qui je suis… Mais je n’ai rien à répondre. Je suis, voilà, n’est-ce pas déjà suffisant, que veut-il de plus, je suis et je n’ai rien à dire d’autre.
Je me débrouille vaille que vaille, pas grand-chose, mes imperfections, mes bas instincts, mes angoisses, et les corbeaux qui croassent sur ma route, et ce temps délétère que je laisse s’évaporer, pourquoi me battre contre cela,
pourquoi m’agiter dans mon flet, je sais trop que les mailles se resserreraient jusqu’ à m’étouffer par ma propre force.


Écoute. Tais-toi donc un instant. Regarde. Regarde à l’intérieur de toi. Vois ces ombres remuantes de tes bas-fonds. Ne les nie pas. Ne joue pas au plus fort avec elles. Certains le font, ils sont aveugles de leur être, ils pensent qu’ils maîtrisent, et comme ils ont nié et repoussé ces monstres qui gisent en eux, ils réapparaissent à chaque instant, ils pensent être les maîtres absolus à bord, et il ressurgit en eux des actes à la manque.


La lumière tape d’aplomb sur toute chose sa lumière de quatorze heures et mon ombre est bien petite.
La résurgence d’instincts violents se produit parfois en moi.
Un malheur pour les autres et pour moi.
Comment me défaire de cette nature tempétueuse et par trop fière ?
Comment aussi ne pas sans cesse osciller entre subir et faire subir ?


Qu’est-ce que mon ombre cache ? Je ne sais, cela ne l’empêche de me poursuivre, nourrissant ses secrets desseins.
Quand je l’interroge elle reste muette. Impossible de lui arracher quelques bouts de vérité dont j’aurais besoin pour mieux déterminer comment avancer avec elle. Elle se fait pour me tromper double ou triple, elle se décompose à volonté en un théâtre où les illusions parlent de vérités cachées. Je cherche à travers ses personnages le protagoniste comme
un enfant perdu qui ne sait plus se trouver lui-même. Parfois je la contemple en silence, je médite le sien. Dans les profondeurs de la scène il y a toujours deux ou trois monstres pour me faire prendre la fuite et partir en déroute.


Œil sur image.
Cauchemars sanglants. Hypocrisie et manipulation. Réalités virtuelles.
Est-ce que le sérieux peut rétablir la vérité en faisant le travail de celui qui regarde ?
Si seulement le montage permet de s’attarder sur le réel et ne découpe-prémâche pas celui-ci.
Le télé-viseur vend du prédigéré : de la merde.


Désastres lancinants, oscillant de l’ouest à l’est et du nord au sud comme un parfait pendule…
Un pendule n’oscille la plupart du temps que pour refléter la volonté de celui qui le tient dans sa main et qui tient la main de ses pairs…
Désastres fruits des intérêts d’une poignée.
Le journal télévisuel est un peu le pendule de cette poignée-là.
Je ferme mon poing.


Aporie verbale : il est vrai que les mots perdent de leur contenu.
On parle au journal télévisé de rebelles, comme si cela devait suffire… mais rebelles contre quoi au juste, ça on ne sait pas. C’est comme si le mot rebelle devait suffire à nous ancrer dans la tête une connotation négative.
Rebelle, rebelle contre l’ordre établi, contre la loi, contre Dieu peut être ? Sûrement contre dieu, le plus grand sacrilège,
voilà des hommes qui sont rebelles envers ceux qui en dieu placent leur confiance.
On place sa confiance en dieu comme on fait un placement en Bourse, en espérant que ça rapporte un maximum.


La communication, c’est s’inscrire dans un schéma comportemental.
La bonne conscience, c’est avoir des instruments de pouvoir qui permettent dans une complète légalité d’assouvir ses instincts ignorés. Un chef d’entreprise a pour instrument son entreprise : il intègre à elle des hommes, il s’en sert pour en rejeter d’autres, toujours selon les intérêts de cette entreprise – mais n’oublions pas qu’ils rejoignent exactement les
siens propres. Ainsi assouvit-il ses instincts les plus bas et égotistes dans une des plus hautes fonctions sociales actuelles – autrefois c’était l’artiste, mais autrefois c’est si loin…
Il n’y a plus de projets de société, il n’y a plus que des bilans d’entreprise qui servent les intérêts du capitalisme, c’est-à-dire de ceux qui détiennent le capital.
Acharné à m’arracher de cet archi-structuralisme.
L’économie est devenue le seul point de décision politique, il décide à sa place.
Bienvenue dans la dictature économique !


Charles je retiens cette phrase que tu as dite, en en citant un autre.
Comme quoi ceux qui ravivent sans cesse les braises de la Shoah, le devoir de mémoire, l’utilisent trop souvent afin de faire oublier que notre monde est encore totalitaire.
Oui. Le totalitarisme économique, la propagande médiatique.
Tu es juif et tu sais encore de quoi tu parles…
Et j’ai aussi beaucoup aimé ce coup de pied que tu as mis dans la portière de ce connard qui applique la loi avec zèle :
vert c’est vert et j’écrase un piéton.
Tu es un ami. D’ ores et déjà un ami. Conte avec moi ces mille et deux histoires de la boue qui colle aux grolles.
Malgré tout ce qui peut parasiter chez moi paroles et gestes, tu as su reconnaître ma musique, et j’ai besoin de personnes comme toi qui l’entendent. Tu as raison, je suis un punk, rien ne me fais plus de mal que l’autorité, rien ne me fait plus de bien que l’expression de ma révolte contre la violence accumulée.


Elle ne s’arrêtait jamais.
Elle ne voulait pas me laisser tranquille.
Elle me tenaillait au corps, la vérité.


Quelle est la formule ? Celle qui transforme, celle des métamorphoses de l’être.
Je la cherche laborieusement.
Écrire comme une chenille qui mange lentement sa feuille.


Impératrice, il est vrai que je suis exclusif, je manque de détachement vis-à-vis de toi, je manque d’amis certainement dans ce port, la ville remuante où je suis comme l’eau dormante.
Je file mon coton, bon ou mauvais il me faut bien quand même un tricot pour l’hiver.
Aïe, douleur aiguë que je fais espérante, dans laquelle je jouis des lueurs d’espoir.


Encore une histoire stupide…
Je l’ai rencontrée en jouant à la coinche.
Je suis le mauvais joueur.
Même si la chance tourne je ne crois pas qu’une quelconque tactique puisse me sortir du mauvais pas d’avoir choisi de jouer. Ma partenaire me reproche la fin des illusions.
Quoi qu’on fasse, la réalité est toujours plus forte et vient se rappeler à nous.
Elle est toujours décevante aussi, du moins pour ceux qui rêvent encore un peu dans l’espoir de lui tordre le coup pour lui donner de l’allure. Pour celui qui joue le jeu jusqu’ au bout, vient le fait de perdre.
Un jour de pluie par exemple, et les longs cheveux qui perleraient sur le visage, qui brouilleraient le regard. Et ce sel si fin de la pluie qu’on viendrait le lécher au bord des lèvres, mêlé à celui des larmes. Je serrerais tendrement mon poing dans la poche humide. Une belle manière de lui tordre le coup et de lui donner de l’allure.
Cette envie inlassable de tout perdre pour dire la bêtise de la partie.
Je ne veux gagner qu’avec la baraka. J’aime la chance insolente qui me donne les atouts que personne ne peut réfuter, qui sont dans mon jeu malgré moi et gagnent malgré la jalousie des adversaires.
Je n’aime pas les fausses connivences avec la partenaire. C’est un jeu d’animal social. Animal oui, social non.
Quelle comédie inlassable en fait : avoir des relations. Je crèverai seul comme un chien, n’ayant jamais bien su entretenir les liens de cet « asile » du monde : le couple. Un asile, disons plutôt un écart, une distance, une réserve de fauves qui imitent les singes savants. Un exclusoire.
Ma solitude reste mon meilleur asile : un endroit de retraite paisible où il est encore loisible de converser avec son étoile.
Ma déchéance aux yeux des vivants sera bien le signe que je n’ai vécu qu’avec des fantômes pour les caresser, les concilier, les apprivoiser. La terre est une planète folle que pleurent d’autres galaxies.
Et quand je pense qu’un jour nous maculerons la lune de notre déchet humain, l’angoisse me saisit.
Mais je m’écarte. La baraka donc, il n’y a pas d’autre travail que celui de se mettre sur le chemin de la rotation des sphères. Ce chemin le plus simple, le plus direct que je connaisse. Le plus facile. Quant à lutter, c’est toujours épuiser des forces pour trop peu de résultat. On combat les armes avec des armes, alors qu’il ne s’agit que de combattre des armées désarmé.
Elle, elle était juriste. Tout se réglait pour elle sur des questions de droits et de devoirs, les choses les plus sales que je connaisse. Elle maniait les textes juridiques avec habileté, et récoltait de fortes sommes dans des procès, lesquelles ses amis – défendus par une si belle corne – faisaient retomber sur elle en une pluie dorée.
Elle vivait de ce que certains pouvaient chercher à nuire. Dieu me garde de lui vouloir après cela aucun mal !
Hommage à sa défense de l’opprimé, dégoût de son amour de l’argent.


Lestement il parcourt les étendues peuplées des hommes du Rift .
Magnificence des soleils qui s’éteignent aux heures de leurs extinctions premières .
Tu diras oui tu diras mais qu’est-ce donc et que n’ai-je pas fait pour recevoir en salaire cette existence si pénible oh oui si et tant pénible ?
Aujourd’ hui il pleut et c’est ce perpétuel larmoiement sur la fenêtre : le ciel qui s’épanche de ses douleurs auprès de mon
œil qui caresse la vitre pour simple consolation.
Qu’y a-t-il ?
Il y a que c’est un nouveau jour et que je dois tout recommencer comme chaque jour depuis le début, depuis l’origine, il y a que c’est une nouvelle journée d’efforts envers le bonheur que je n’atteindrai que tard dans la nuit quand d’autres dorment et que certains seulement comme moi tentent de tenir leur veille de petits lampions pour fêter l’étoile qui strie l’obscurité.
Notre Dieu oh oui notre dieu l’avons-nous oh non l’avons-nous abandonné ?
Mais qu’est-ce que nous nous sommes fait ?
Est-ce un monde ce monde se peut-il est-ce possible le monde comme cela ?
Stridence de mon cri immobile dans la stature de la ténébre…
Il faudrait bien plus de mots que cela il en faudrait un pavé énorme pour réaliser le retournement dont tu rêves et pourquoi fallait-il que l’on te renverse pour que tu voies et dénonce le scandale de ce monde inversé ?
Cette prêtresse déguisée en femme et dont le pouvoir repose sur les antagonismes .
Une femme de pouvoir, c’est plus désespérant que lorsqu’ il s’agit d’un homme car une femme aurait eu moins d’effort à faire pour comprendre la douceur de la pénétration du souffle qui irrigue la terre fertile de son sein, là où repose son cœur.
Cet homme qui a su trouver en lui une terre fertile de féminité .
Arpenter les rues les allées les ruelles escarpées les avenues et les boulevards tranchants .Les couleurs de la matière et les couleurs de la lumière .
Le premier homme fut et reste rouge .


Un temps lent. Un rythme lourd. Les nuages qui ne se lèveront pas aujourd’ hui.
La chaleur réconfortante de l’intérieur, mais envie de partir, de quitter cette terre aux trop dures exigences hivernales.
Envie de la lumière. Envie de dire n’importe quoi, surtout des bêtises pour mieux rire de soi avec quelques amis, un baume à l’âme que de se considérer ainsi crûment stupide, sans gloriole mais avec toute l’humilité de ne pas être le bon dieu.


Ciel noir, ciel dos rage, ciel chargé, ciel de menaces pesant sur ma pauvre petite tête ronde comme une bille, sous ce ciel donc je joue à pichenette avec deux trois camarades qui convoitent mes dernières agates. Ciel pesant de la peine accumulée cet hiver, ciel qui va rompre sous son propre poids et éclater des feux des éclairs, gronder du craquement du tonnerre, ciel qui doit se déchirer et s’abandonner à la tempête. Je n’ai pas peur de l’orage, car l’hiver ne peut pas opprimer à jamais les forces, celles-ci doivent se réveiller pour que demain le soleil brille. C’est un réveil brutal, mais je
le préfère au trop long sommeil. Et je perds tranquillement mes dernières agates.


Soliloque du dé traqué.
Voilà. Ça commence comme cela. D’ abord je donne le titre et après je le remplis de son histoire. Je fais les choses dans l’ordre. Un ordre qui se révélera sûrement être chaotique, mais bon, un ordre tout de même, qui se déroule comme la laine que l’on carde et qui s’enroule sur une pelote, décrivant dans ses méandres arrondis une certaine forme géométrique : la boule.
La boule de neige. Je n’aimais pas ce genre de jeux ; la neige est trop froide et elle brûle. Et puis rien que le titre, la bataille, non, ça ne m’amuse pas. Quand la neige recouvrait les étendues de terre tout autour du village, et dans le petit jardin derrière la maison, et que le givre faisait briller d’un doux éclat scintillant les arbres du parc de la voisine qui pour mon bonheur dépassaient notre sempiternelle haie de thuyas, j’avais confiance en cet étrange monde en sommeil. Le silence régnait et je me taisais moi-même dans un regard contemplatif derrière le carreau.
Carreau, Cœur, Pique ou Trèfle : le jeu avec les atouts dont je me demandai très tôt quelle histoire ils pouvaient bien raconter. Et qu’est-ce qui fait que la partie se déroule ainsi, les revirements de chance ou même la simple observation de la suite des cartes qui tombent les unes après les autres, jouées par les protagonistes d’un conte symbolique.
Les boules de Noël. Je les aimais beaucoup, et je le disais à la papesse, et la confrérie surprenait mon dire, et quel sens caché faisait qu’ils se mettaient tous à rire avec l’arableur ? C’était cruel, ce rire, devant mon innocence de ce dire d’amour pour la papesse, ce dire ignoré par moi-même.
Quand je croise la cruauté, je l’ignore. Et je m’obstinais à ne pas vouloir comprendre. L’intelligence est faite pour des choses meilleures que celles-là, comme la naïveté par exemple que toujours j’ai eu l’instinct de préserver, avant que je sache, avant que j’apprenne, avant que le poids des choses sues ne m’entraîne.
Mais le monde est cruel, et le monde est si intelligent, non pour le plaisir et la délicatesse de l’intelligence, mais pour se trouver des raisons – ainsi que des moyens – d’être cruel. Et le monde nous traque jusque dans nos moindres recoins pour nous faire savoir sa cruauté.
Arrive un jour où il n’y a plus en soi la moindre trace de naïveté. Alors on traque à son tour.
Mais je n’ai pas traqué les autres.
Je me suis traqué moi-même. Et la chance a tourné.
Et adieu veaux, vaches, cochons.
Et puis j’ai cessé la traque à soi-même pour la traque en soi-même, et que traquais-je alors ? Le jeu. Le jeu du monde dans sa course folle de toupie lancée à travers l’espace démesuré. Et prenant moi-même ma folie sous le bras, je me mis à parcourir le monde dont je riais.
Prestidigitateur, ainsi ai-je fait un tour sur moi-même.


Des compagnons de route involontaires
Lancent leur regard en direction de moi
Afin de vérifier l’acquittement du prix
Je suis découragé par leur fierté
D’ être de vrais hommes
Alors que je ne suis qu’un embryon
Qui circonvolutionne à fin de développements
Et qui parfois se recentre sur lui-même
Laisse son énergie tourbillonner
Comme l’eau quand la baignoire se vide
Dans le grand troc de la vie
J’ai déjà été dépouillé plusieurs fois
Et après tout je ne suis là pour certifier personne
Si seulement déjà je savais m’authentifier
Mais je refile des choses dont je ne connais pas la valeur
Juste pour l’expérience
Et si l’autre y perd qu’y puis-je
Je ne l’ai pas engagé à cet échange
Je suis le mouvement tournoyant de la roulette
Et je mise et mise encore
À seule fin de jouer le jeu jusqu’ à son aboutissement : la perte
Qui est ce point au terme de la phrase.


Il y a des heures à passer seul au milieu des autres.
Toujours seul.
Ne pas se perdre dans les autres.
Avoir sa conscience pour soi, se tenir ferme au milieu de la tourmente.
Laisser filer, laisser se dérouler le flot des événements.
Peut-être rien n’a-t-il vraiment d’importance, surtout pas ce que l’on peut penser ou dire de moi.
Ne pas se tromper : ne pas choisir la colère.
Me rappeler que je ne suis pas maître à bord.
Laisser les autres faire, surtout s’ils se montrent convaincus qu’ils savent mieux que moi.
Perdre et perdre encore.
Ne jamais prendre le gain si jamais tu gagnes.
Ne pas vouloir avoir gain de cause.
La vie est un fleuve qui s’écoule, regarde-le distraitement passer.
Pleurer quelquefois mais sans y prendre garde : ce n’est pas grave.
Ne cherche pas le pouvoir sur les gens, ou sur le monde : laisse plutôt les autres prendre leurs responsabilités.
Redonne à César ce qui appartient à César.
Paie ton tribut avec indifférence.
Laisse les autres s’agiter autour de toi.
Tu n’as rien à prouver. Sois Libre.
Et humble.
Et souriant.
Sois souple.
Laisse la machine faire son travail, ne te laisse pas broyer par elle, sois la pièce dans laquelle il y a du jeu.


Tu dis : « la vie n’est que mouvement
Et toi tu te tiens immobile
Tu dois bouger, oui, il le faut,
Car c’est la loi de la vie. »
Je dis : définitivement je suis hors la loi
Et on peut bien me jeter dans l’opprobre
Autant que dans une prison.
Ce que je tâche de savoir c’est que je suis d’abord un mort
Et ensuite peut-être je pourrai m’occuper de vivre
Mais si l’on veut me tuer c’est facile
Moi je ne tuerai pas.
Je ne suis pas de ceux qui avancent coûte que coûte
– surtout quand ce sont les autres qui paient –
Livrant leurs « nécessaires » combats
Et semant la mort sur leurs pas
Je ne veux plus cueillir de fleur
Pour qu’elle se fane entre mes doigts
Et plante ses aiguilles dans mon cœur
Las ! Le monde peut bien tourner sans moi
Qu’est-ce donc que cette obligation de devoir tourner avec lui ?
Me tenir immobile et rester silencieux
Est ce que je sais faire de mieux
Revoir un hiver


Aurores écarlates ensanglantées déjà dépassées par les coursiers célestes dans leur furie démentielle
Éveil à cet autre jour de nouveau prêt à me confronter à moi-même
Dédoublé et dialectique, arguments et contre-arguments
Jusqu’ au moment où mes yeux se ferment à la dualité et où mon œil ternaire cite le fond de mon âme et l’intelligence de mon cœur
Oui il fallait crier et renoncer à tout pour savoir que oui c’est la chance que j’ai
Je saisis cette chance comme un jeune lévrier court après son lièvre sans que jamais la proie
Démonter la structure grammaticale et faire des erreurs qui ne sont pas dues au fait de ne pas connaître la règle non mais bien plutôt de l’ignorer avec superbe et dédain je veux faire dire autre chose à mes mots je veux qu’ils racontent les histoires inouïes et non advenues de mes pays d’enfance
Quel conformisme n’ai-je pas affiché dans le monde c’était cela la mondanité répondre fidèlement aux attentes
Je ne pleure jamais non je ne pleure toujours pas je m’arrête au bord des larmes et de la faiblesse avouée je bois la rosée des frais matins de la campagne et j’entends les pépiements des oiseaux et cela me repose de leurs éternels bavardages ici je peux être faible
Retour au travail de la terre comme mesure


Le silence est-il encore possible ?
Quand je le regarde de l’intérieur, c’est une immensité nue.
Quand je le vois dans l’œil d’un autre, c’est tout ce contre quoi je n’ai pas parlé.
Cela est certes très moderne : il faut parler. Parler est un devoir. Il faut ajouter de la parole sur de la parole pour que le monde bruisse suffisamment.
Et personne n’en a jamais assez.
Je ne souhaite pas la mort.
Je souhaite ce silence retiré du monde.
Le monde est trop bruyant, trop brillant, trop clinquant, toujours.
Mon idéal du monde serait un vieux flm en super 8 syncopé noir et blanc sans le son


Ce sera une nuit froide emplie de brouillard dans une petite ville proche d’un canal.
Notre rencontre se fera dans une petite ruelle triste et sale.
Ma mort aura un rouge à lèvres très vif et très gras, elle sera maquillée outrageusement, du bleu très clair sur les paupières, du rouge aux joues, le tout sur un fond de teint très épais. Elle portera une jupe qui dévoilera sa culotte et un bustier pigeonnant.
Elle me dira que la trépasse est à cent balles, et je la suivrai dans son dédale plus obscur encore que la nuit.
Je n’aurai plus de désir, et tout le monde en sera soulagé.


Il voudra savoir si vrai ou faux.
Il n’y aura ni vrai ni faux.
Un poids trop lourd dans la main, du plomb.
Il accroît toujours un poids roulant pour finir par aborder
Cette côte où il n’y a plus ni vrai, ni faux.
S’abîmant, payant comptant coup sur coup
Fouillis, ça, noir chaos.
Nourrir un fil.
Inclinaison, salut.
Usurpation du faux par amour du vrai.
Distinction du vrai par discrimination du faux.
Et il fait ça parfois, fou tournant tournoyant contournant la loi.
Ça a un coût coupant tranchant.
Franchissant, s’affranchissant.
Tu mourrais si tu savais, tant cassant luttant pour finir.
Tu riras, vivant, t’acharnant.
Ou alors ça aura raison, toi sans maison, un jour de carton ramolli.
Balançoire oscillant du bas bord au haut bord. Ni vrai, ni faux, ni stop.
Pourtant ça aussi faisait cahin-caha
Cachant mille malfaçons mais tu l’auras mal gai tout ton portrait.
À quoi t’attachais-tu quand tu lâchais ton cap ? Au tout à nul au scintillant minus bout d’or striant ta nuit, tu sombres et noircis tes jours
Les murs passant autour tournant contournant figurant ton parcours filant sans avions .


En chacun je peux reconnaître quelqu’ un de semblable à moi, parfois sans que lui-même le sache.
Habituellement ça gêne plutôt l’autre quand je le désigne ainsi de son impersonnalité.
Il se dépêche de me fuir comme on fuit le pauvre diable, et de retrouver son groupe, son appartenance, sa communauté.
Moi, je reprends alors ma route, m’attendant à voir surgir cet agrégat avec la guinde pour me pendre. Parfois, j’en fais le cauchemar, et c’est toujours toi qui tiens la corde de chanvre.
Je sais bien que derrière moi il y a de ces propos qui s’échangent pour me condamner, un tribunal qui n’est pas tant destiné à me désigner comme coupable qu’à redonner une bonne conscience aux gens qui le composent.
Moi, je ne prendrai pas la peine d’assurer ma défense, je suis libre en tant qu’homme.
Si j’ai commis une faute, c’est à cause de cela, et ça ne me rendra jamais le cœur plus léger.
La faute a un poids, et je la porte à vue des autres, je ne suis pas de ceux qui savent mentir sans rougir. Et si je porte la faute, et si cela rend parfois l’air autour de moi plus lourd, c’est parce qu’elle n’est pas uniquement mienne.
Je porte la faute des autres, les autres portent la faute. Le monde a un poids.


Je ne peux souhaiter que le silence et d’entendre toujours ce silence entre les sons, entre les paroles, voir les fantômes des anciens gestes vibrer sur les ombres des gestes à venir. Je ne peux souhaiter que l’outre-tombe et cela me paraît plus sensé que de continuer à compter sur le monde et sur la vie comme elle va, c’est-à-dire le monde avec sa démarche bancale de mendiant en complet-veston. Il y a eu tant de morts diverses, douces ou brutales, que ce peuple de fantômes est plus intense que le nombre apparent de la bigarrure. Ne me demande pas la carte de mon identité car je vis déjà en transparence à tel point que tu m’auras vite oublié. Mais en ton esprit il restera cette trace indélébile de ma fulgurante traversée de tes neurones. Puisse ce passage en avoir brûlé un grand nombre pour faire de
toi un homme extraordinaire, un handicapé chanceux par cette main au chapeau. À toi donc d’inventer ta géographie.


La scène n’est pas un lieu politique destiné à faire valoir sa bien-pensée corrigée, avec annotations du personnage par l’acteur. Je ris doucement quand j’entends tous ces metteurs en scène dire qu’il faut se méfier du sentiment comme moteur de jeu. Qu’ils nient ce sentiment ne change rien au fait qu’il existe. Et toutes nos relations humaines sont aujourd’ hui policées en comportements adéquats. Ceux qui tiennent ces discours sont des grands prêtres qui refusent que la spiritualité aie sa source dans le corps, et que c’est avec ce corps qu’il faut travailler.
Le siège du sentiment, c’est les tripes. C’est le lieu d’échange et de transformation. On avale une nourriture, on en retire le suc, et on rejette le reste. Ces méfiants des zones sentimentales devraient garder à l’esprit que « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ». L’homme doit œuvrer à cette transformation.


Je fabrique du théâtre parce que le monde est une folie, et parce que le théâtre est une folie à lui opposer.


L’intelligence travaille avec le doute.
Pour apprendre il faut travailler avec la folie.
Le doute est ce qui limite et corrompt la folie.
Il faut toujours être un jeune fou.


L’erreur n’est pas importante. Ce qui est important c’est de faire. De laisser l’acte surgir de soi.
Le reste ne nous regarde pas.
On tombe parfois dans des abîmes. Ce n’est pas bien grave, car on s’en sortira.
La faute est bien plutôt de ne pas vouloir plonger dans l’abîme.
Il ne faut pas réfléchir aux conséquences de ses actes, ni aux causes de ses actes.
Il ne faut pas ainsi chercher à savoir s’ils ont bon ou mauvais.
Il faut être porté par ses actes, et ainsi on peut apprendre.
En réalité les causes et les conséquences sont multiples.
Il faut se reposer sur l’unité de l’acte, car il est le seul à pouvoir être compris intégralement.
Ainsi l’intégrité c’est de savoir assumer son acte et de le consolider par son attitude.


Un soir froid, un homme lugubre
Une divagation d’automne
Un itinéraire de traviole
Un travelo dévergondé
Qui prend plaisir à jouer sur l’ambivalence des sexes
Une fuite futile
Un savoir-faire éphémère
Une tendresse à tordre les nerfs
Une patience qui compte le temps
Un tempo temporisé
Une brise à briser le cœur d’un rescapé
Une pornographie sale, écœurante
Un désir illusoire et désolé (du peu / du trop)
D’ ardeur toujours mal placée
Comme le soleil au temps d’apocalypse détruira la terre en lieu et place de
Cela arrive un jour
Et c’est la nuit
Peur de la dernière seconde
Oubliée par l’absence d’être pour en garder
Le souvenir
Tant que je vivrai, je n’oublierai pas
Et puis un jour, envolée la musique
Que fait ton parfum de poussière et d’ombre
Il est trop tard pour regretter
La règle était écrite
Nul n’est censé, etc.
Ô douceur de la pluie d’été
Pour laver la conscience si aiguë, si douloureuse
Et si je pouvais pleurer
Si seulement si
Ma fragilité coulait de sa source
Plutôt que de craqueler l’intérieur
Qui s’effrite
Voici donc les mots
La grande farandole de la sculpture dentale labiale et gutturale
Sur notes en couac
Tout cela pour le plaisir de fabriquer quelque chose de la place où je suis
Rendre compte de la tristesse de l’insomnie en pleine hibernation
Les contraires se tendent jusqu’ à s’écarteler
C’est le sort de celui qui connaît les choses
Que d’autres veulent lui arracher :
La nourrir
La torture du témoin
Mais comme une carpe muet je serai
Avec la bienveillance de la tortue
Je me regarderai m’éteindre
Dans la solitude des morts
Comme un éléphant dans le cimetière des siens
Tant pis pour les mots que je n’aurai pas dits
Je les tais
Et personne ne devine que c’est ce silence qu’il faudrait écouter.


Quelquefois je prends une béquille. Un café cognac à neuf heures du matin.
Les mots tournent et se heurtent dans leur ronde folle.
Pas d’appels aujourd’ hui, ou si peu – on se dit si peu de chose au téléphone
Encore une illusion qui fonctionne plutôt bien. À peine la sonnerie retentit qu’on s’imagine moins seul. Mais on l’est souvent davantage ensuite.
Je cherche éperdument la perle rare, et je fnis par me perdre
Il n’y a pas d’amour heureux, d’ailleurs il n’y a pas d’amour du tout. Il n’y a que la force des nerfs qui continue à me mettre debout, moi qui préférerais me coucher là, dans la neige, avec quatre ou cinq taches de sang pour signifier ma mort.


Il n’y aura plus de questions, plus jamais.
Les questions ont achevé leur petit tour circulaire pour aller se perdre faiblement dans un regard étrange.
La couleur vert-gris du temps.
Il se moque des temps passés et à venir.
Il se soûle incontinent.
Il divague dans les béances des fissures du temps.
Noter des phrases à la recherche de leur beauté. Un moyen comme un autre de faire naître de nouvelles idées en laissant pour une fois parler autre chose que la raison. Aller chercher la brûlure au fond de soi.
Mon cœur a doucement et intensément mal. C’est une sensation qui me revient de ce temps que j’avais omis de me remémorer. Tout cet amour donné qui s’est envolé ailleurs, je ne sais où, et dont nul ne me rend aucun compte. L’amour perdu voué à l’oubli.
Personne ne m’a jamais dit que je lui avais donné autre chose qu’un objet.
Elles m’ont toutes repris les perspectives d’une vie ensemble. Elles avaient pourtant espéré le meilleur. Mais elles ont fuies devant mon regard perdu dans des dimensions amères à géométrie variable.
Je suis un homme à aspects multiples dont les autres ne voient que ce qui les intéresse. Le reste ils le laissent à la noyade.
Il et ils. Parler de soi à la troisième personne et parler des autres à la troisième personne du pluriel. Se considérer comme unité de la somme de chacun de ses semblables. Sans pour autant se penser tous identiques.
Une multicouleur.
J’ai le sentiment d’être tellement inutile dans mes atermoiements de sentiments forts, fulgurants et tout aussi vite perdus. Personne ne sait plus ce qu’on peut faire d’un sentiment.
Sécheresse de la bouche qui parle le vent.


L’écriture commence, et avec elle la dérive, l’éloignement, l’exil de cette zone silencieuse où la paix me donnait le repos.
Cet effroi du début des écritures qui cassent mon cœur en éclats.
La beauté est absolument inutile.
Elle sert seulement à me maintenir un peu en vie, comme une respiration artificielle.
Elle est malheureusement la seule chose qui me reste. Elle ne dévoile que trop ma misère.


J’ai aujourd’ hui autre chose que la beauté : j’ai les actes !


Léo le disait bien lui-même
Il y en a marre, marre, marre, marre !
Une mare aux canards laquais
Qu’on cuisine en fond de cale
Eh oui ce mauvais petit là
Dont parle la société
Et on en revient toujours aux mêmes
Choses et dires qui redémarrent
Sur les êtres plaqués
À tâtons dans le dédale
Aveugle et des veules las
Ils veulent ma peau
J’en fais cadeau
Je n’y tiens pas autant qu’ils s’aiment
Mais le désordre je sème
Et s’aimeraient encore
Deux amants affolés
D’ un lien plus fort que celui
D’ obéir ou de dicter
Aux ordres des ordres
Ordures ordurières
Ainsi je les nomme
Et je fais fi qu’eux se nomment des hommes
Ce qui signifie que je n’en suis
Ils ont la verticalité hiérarchique
J’ai la courbure du jonc qui ne rompt
Et je cracherai la chique
Qui coupera la leur
Des leurres ils usent
Un miroir aux alouettes
Une figure de bonheur
Calculée par des géomètres
Qui se mettent au sommet du triangle
Et nous mettent, nous mettent, nous mettent
Nous juste dignes des miettes
L’hérédité détermine encore
Qui peut construire sa vie selon son modèle
Ou qui doit se conformer au modèle des nantis
Je revendique mon RMI
Comme une liberté
Être pauvre, valeur d’une vie
Inconforme à la publicité
Attaché ? dit le loup
Ainsi vous servez la chasse
De ce dangereusissime prédateur
Qui décime et s’en fait gloire
Sur sa cime de gibiers superflus ?
Prédateur de sa propre espèce
Ainsi l’homme aujourd’ hui
L’arme, c’est l’argent
Et la guerre, l’économie
Il n’en aura jamais assez
Mais pour moi permettez
Simplement de ronger
Les os de sa table
Puis de vomir à ses pieds
La cigale et la fourmi
Point n’est besoin de travailler
Et se repaître de télé
En oubliant que la richesse
Crée aujourd’ hui la pauvreté
Et la bêtise de ceux qui disent
Amen à cette société
Vade retro à ses damnés
Je ne suis qu’un pauvre diable
C’est-à-dire ange déchu
Déchu, certes, mais un ange
Et qui du fond de son abîme de ténèbres
Lève le regard vers la lumière
Et connaît encore la prière
Délivrez-nous de la souffrance
Permettez que moi je chasse
Avec mes armes faites d’inutile
Cette logique futile
Qui me dépasse
Je ne serai pas un rouage
De la machine asservissante
Je ne serai que grains de sable
Qui enraieront le mécanisme
Car l’argent va à l’argent
Et je ne serai pas
Par l’illusoire besoin
De quelques biens en supplément
L’autoroute de la fortune de nos régents :
Le maître ramasse le gibier
Le chien a sa pâtée télévisée
Seulement
Je ne chasserai pas seul
J’appelle les autres loups de partout
À hurler la mort des victimes
Les chiens à redevenir sauvages
Et renverser l’ordre inversé
Qui ignore que le grand
Pour faire grandir le petit
Doit se mettre à sa hauteur
Si l’argent est une énergie
Alors je dis :
Toute énergie reçue
Doit à son tour se donner
Et ainsi toute hauteur
Diminuer
Ceux qui veulent toujours grandir
Et prendre la taille de géant
Régnants sur un empire
Mondial et dominant
Ceux-là dis-je
Noyés dans leur ivresse
S’étaleront de tout leur long
On ne nie pas impunément
La loi des vases communicants
En truquant ce qui fait que les vases
Peuvent communiquer
Ainsi des empires médiatiques
Font de la propagande de masse
Mais le silence d’une clochette d’étain
Sera plus écouté
Que le concert assourdissant
De vos orgues d’aluminium


Dans les quartiers selects de la ville les routes s’entrecroisent sans axes principaux, avec sans cesse des priorités à droite. Comme cela les voitures ne vont pas trop vite, elles ne risquent pas d’écraser le pauvre petit malheureux bambin qui viendrait récupérer son ballon sur la route sans avoir vu la voiture.
Le quartier HLM est sillonné de grands boulevards et il y a bien plus d’enfants que dans ces quartiers selects. Les enfants apprennent bien vite à ne pas traverser n’importe comment. Reste un quartier écorché par l’urbanisme.Il faut bien que le bourgeois paie quelque chose et puisse s’enorgueillir de ce qu’il paie.


À Paris il y a l’intellectuel mondain qui te méprise.
Ma gauche est anarchiste, sa gauche est sociétaire.
Si je connais une révolution, elle est celle de la terre sur elle-même où vingt-quatre heures passées sont tout juste un jour de plus.
Ma gauche est un objectif idéal dépassant la sclérose de ce début de siècle.
Sa gauche est une tactique pour la prise de pouvoir.
Sa gauche est représentative et non active.
Sa gauche ne connaît ni la faim, ni la peur, ni l’envie.


Je marchais dans la rue sans plus guère d’espoir. Mes 29 ans, mon RMI, une situation sociale déplorable, je ressentais en moi la pointe de l’exclusion, j’étais écrasé par le poids de ma défaite et je n’envisageais pas vraiment de légère victoire. Je l’avais déjà fait, j’avais espéré, j’avais cru, et puis la loi du siècle m’avait rattrapé : la désillusion.
Le goût amer de cette leçon m’avait donné envie de la retenir. Donc il y avait une chose à savoir : ne pas espérer. Il n’y a pas de place pour l’hésitation, ou l’humilité : il n’y a de place que pour les loups qui ont les dents raclant le parquet et qui se vendent comme du savon à barbe.


C’est le mois de janvier. C’est une nouvelle année qui commence. C’est cet hiver qui n’en est pas un. Ce sont les démarches administratives et ce sont les directives contradictoires.
C’est l’attente du paiement d’une caisse quelconque avec la culpabilité de l’assistanat.
C’est cette impression que manger ne donne plus de force.
C’est sentir toute force fuir de soi. Est-ce l’anémie ?
C’est tourner en rond dans sa cage comme un petit rat dans sa roulette.
C’est la nostalgie du voyage en roulotte, c’est l’illusion qu’il serait encore possible.
Ce sont les bruits du monde : un avion qui traverse l’espace aérien national.
Ce sont les règles qui régissent les espaces.
C’est la violence engendrée par la règle.
C’est draconien.
C’est braconnier.
C’est se sentir de trop.
C’est sentir que l’on vous demande juste de disparaître.
Y a-t-il une place pour quelqu’ un ici ?
C’est la voix de la rébellion imposée à la rue, stéréotypée, convenue, énergisée comme un jeune cadre dynamique. Une cacaille peut toujours faire un bon commercial. Une histoire de conversion. D’un pôle à l’autre.


La novlangue ofcielle
Vous êtes en contrat d’insertion. Nous procédons juste à une infltration pour vérification de vos déclarations trimestrielles. Dans le cas où la constatation de falsification de vos déclarations aurait lieu, nous vous adresserions une contravention ou bien vous mettrions à contribution pour la réparation des dégradations de la via publica. Il n’y a pas lieu de procéder à une arrestation. Une fraction de vos diverses rétributions pourrait être prélevée. Par anticipation, nous vous demandons de ne craindre aucune sanction.
Il ne s’agit que d’une vérification radicale et rapide.
La rationalité de notre administration est proportionnelle à votre respect des conventions sociales. Dans ces conditions, une recommandation de prospection en vue de l’obtention d’un travail est conseillée.
Pratiquement, vous devrez fournir les attestations de cette susdite prospection.
La dissection de votre dossier administratif pourra subir des variations de temporisation de l’ordre d’un à neuf mois.
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Parallèlement, vous trouverez toutes indications utiles à la conservation de vos sensations à température normale dans notre publication « Soyons zen ».
Aucune rature ni gribouillage ne doivent figurer sur les attestations que vous nous renverrez.
En pratique, nous sommes dans une tentation de simplification de nos procédures administratives et langagières.
Faites l’acceptation de la présentation de nos excuses si le cas n’est pas encore tel.


– Je diffère.
– Vous dîtes fer ?
– Non, je diffère.
– Non, vous devez vous tromper, différé n’est qu’un mot plus guère employé que pour un retard dans le temps. Vous
voulez dire par là que vous êtes attardé ?
– Peut-être tout met-il trop de temps à s’accomplir. Je n’ai pas la patience. C’est aussi ce doute permanent : et si rien ne devait s’accomplir ? Si toute la vie n’était qu’une longue attente sans résultat ? Un jour mon prince s’évanouira dans les airs. D’ ailleurs cette discussion à bâtons rompus je ne vois guère où elle mène…
Vous êtes de drôles de gens vous les psychiatres. Vous me considérez d’un œil critique et le fondement de votre pratique est de guetter au-delà de mon apparence mon inconscient. C’est ce que j’appelle de la suspicion, et je me sens toujours coupable devant vous.
– La suspicion n’entraîne pas nécessairement la culpabilité !
– Allez dire ça à Franz, mais pas à moi.
– Si vous vous sentez coupable, c’est sans doute parce que vous l’êtes en effet.
– Vous venez d’en faire un bien beau, d’effet de manche. Bien plus, je vous soupçonne de jouer ouvertement un jeu tactique pour me cacher qui vous êtes. Ou pour trouver un moyen silencieux de le dire.
C’est pourquoi il me paraît souvent que la seule possibilité avec vous est de m’accabler de tous les maux possibles et imaginables. Au moins j’aurais l’impression de retrouver face à vous la franchise, qui est pour moi la chose la plus importante au monde.
– Vous dites donc qu’en ce moment vous n’êtes pas franc, que vous cachez des maux ?
– Je dis que je ne suis pas franc à vos yeux. Je ne dis rien de plus.
– Avez-vous parfois peur de disparaître ? Je ne dis pas mourir, mais disparaître ?
– Je dirais plutôt que je ne suis jamais apparu, et qu’avec cette histoire on me demande d’apparaître. Les gens ne supportent pas l’inconnu. Rien ne doit jamais plus échapper à la raison. Il n’y a plus de mystère, il n’y en a jamais eu et il ne doit surtout plus jamais y en avoir. Vous êtes vous-même l’incarnation de cette volonté de connaissance sans borne.
– Quel effet cela vous fait-il ?
– Celui d’un viol de mon intimité.
– Cessez je vous prie de tout ramener à des choses sexuelles. Je vous prie de sublimer.
– Un vol de ma propriété ?
– Voilà qui est mieux…
– Mais je ne possède rien. Je dirais même que ce serait moi qui serais possédé !
– Par un esprit ?
– Non, par des escrocs ! Je ne redoute en rien la possession par les esprits.
– Parce que vous croyez en ces balivernes ?– Et ne croyez-vous pas en un inconscient ?
– Il s’agit d’un fait scientifique.
– La science pourrit l’existence.
– Vous n’êtes pas un homme de progrès ?
– Quel progrès ? Celui qui fait de cette planète une pauvre pelure d’orange ?
– Ou bien celui qui permet d’envisager de la conserver…
– Je pense bien qu’il est trop tard pour ce progrès-là. Il fallait y penser avant. Le gaspillage d’énergie est devenu un instinct de possession.
– Vous y revenez…
– Je pense simplement qu’il vaut mieux être possédé par un esprit que de posséder un corps…
– Vous pensez à l’acte sexuel ?
– Cessez de tout ramener au sexe, je vous prie de sublimer.
– Et posséder votre propre corps ?
– Oui, c’est l’âme du prolétariat, ne rien posséder que son propre corps et le louer en tant que force de travail.
Rien de nouveau sous le soleil. Au départ je pensais à l’esclavage.
– La classe ouvrière tend à disparaître…
– Ici, oui. Elle est remplacée par ceux qui l’exploitent en toute inconscience. Notre société est tout entière placée sous le signe de la manipulation.
– Écoutez, je crois que nous allons en rester là. Je vous rappellerai simplement que vous ne pouvez rien changer ni à la société ni à ceux qui vous entourent. Commencez donc à vous interroger sur vous-même.
– J’ai juste une chose à ajouter. Votre profession est un clergé qui prône la soumission.
Au revoir.


Mes deux arrière-grands-pères sont morts pendant la Première Guerre mondiale. Ils servaient les ordres de ceux qui les gouvernaient vers la mort.
Le progrès du XX e siècle a servi le Diable.
Et quand je contemple la madone qui me regarde de son doux sourire, je vois de petites hirondelles partir se réfugier dans un pays plus chaud.
Exil et migrations des peuples où trouver la terre d’asile, la terre promise à des jours meilleurs
Et si nous allons au bout de cette logique de progrès et de croissance, que restera-t-il de cette terre ? Peut-être une excroissance, une tumeur maligne qui tendra à prendre toute la place.
Et où irions-nous, et comment croire pouvoir remplacer cette œuvre sublime du cosmos ?
Et pourquoi la pousser à bout, pourquoi la diriger au-delà du but ?


Le Vieux Continent a exporté la guerre dans les nouveaux mondes.


La foule était déchirée et haletante sous la pluie, elle craquait d’une rumeur couverte par le bruit de la pluie, elle trépignait sur place, elle s’écartelait, des regards esquivaient des regards effrontés, des regards affronteurs surgissaient alors d’ailleurs sur l’esquiveur, des resquilleurs tentaient de resquiller encore, chacun essayait de dénoncer la faiblesse
de l’autre par un mouvement interne de force, la règle était chacun pour soi et sauve qui peut, personne n’essayait de sauver personne, personne n’attendrissait personne, la lutte des luttes se prolongeait, chacun s’impatientait de la fin de l’aventure, tous voulaient en être le héros, on se battait avec la multitude contre une poignée, c’est une tactique usée
que d’avoir plus d’alliés que d’ennemis, même si les alliés d’hier deviennent ennemis d’aujourd’ hui, le ciel crachait sur cette engeance, la lumière ne venait rien rayer, le pacte ne serait plus jamais respecté, quelques-uns fuyaient la place publique, les crachats du public s’ajoutaient aux crachats du ciel, certains essayaient de tempérer mais bouc ou chèvre il n’y a pas de mais, d’autres s’essoufflaient à tenter de se maintenir seulement sur place, il n’y avait plus d’espace suffisamment, tous s’entassaient comme pris d’une force centripète, l’individu perdu et isolé ne pouvait plus prétendre
rien connaître ni rien savoir de cette foule, cette foule amassée, cette énergie concentrée prête à l’explosion, les pôles prêts à se connecter, une masse uniforme sans queue ni tête que rien ne ferait désormais tourner, il y avait des informations que l’on recevait et nul depuis longtemps ne les vérifiait plus, personne ne voulait rien vérifier, cette parole était prévérifiée, précontrôlée, prépensée, prémâchée, mal digérée, les outils de la propagande fonctionnaient bien, à cette information de caractère véridique car scientifique s’ajoutait la haine contre Lui, l’Oublié, le Délaissé, l’Abandonné, le Contraignant, l’Exigeant. Chacun prenait sa vessie pour une lanterne et se laissait aller à s’oublier un peu partout, et un peu partout c’était devenu nulle part.


Ici l’histoire d’un homme en lutte pour sa survie.
Avec les années de travail, l’ancienneté dans son entreprise, il vit un peu plus largement.
Et pourtant, il commence à mal digérer la solitude, il commence à ne plus rêver, mais seulement désirer jalousement chaque jour un peu plus les biens de la société de consommation.
Il imite la bourgeoisie : il commence à vouloir écraser les plus petits qui l’empêchent de grossir un peu plus.
Il les rend responsables de ses malheurs…
Il ne sait plus ce geste simple – que par ailleurs personne ne fait plus – de combler les lacunes du dessous par les trop-pleins du dessus.
Il faut dire que pour lui les lois de la concurrence ne sont pas valables que pour les entreprises : lui aussi veut être un performant de la société, et il sent bien que ça lui échappe, qu’ils sont de plus en plus à avoir plus, bien plus que lui. Et tout comme une entreprise a peur de la faillite, lui a peur de sa mort : sa mort sociale, et qui lui donne des envies suicidaires. Mais celles-là il ne les écoute pas, il les transforme en envies meurtrières pleines de, au nom de la F*, Haine.


Communisme : 32 millions de mort…
Ô misère !
Et qui donc comptera les morts du capitalisme ? De ces morts dont apparemment rien ni personne ne serait responsable : morts de faim, morts de froid, morts faute de soins, morts du sida, morts d’épidémies, et toute cette mort vivante des exclusions nombreuses, diverses et variées.


J’ai vu des bulldozers pousser des tas de cadavres, enfant.
J’avais dès lors la phobie des travaux publics.
Tous ces outils dont la puissance dépasse celle de l’homme me paraissaient de dangereuses menaces.
On peut se battre contre un homme même plus fort que soi. On risque quelques blessures, à tout prendre au pire la mort. Sa propre mort. Mais pas celle de l’humanité.
En réalité l’homme a dépassé sa mesure.
Il outrepasse ses moyens.
La beauté que contient le mot antan tient dans cette réalité : avec ma mesure d’homme j’accomplis ce qui est de ma responsabilité et de ma façon.
Je n’ai donc jamais cru au progrès de l’ère industrielle.
Et aujourd’ hui ce n’est plus seulement l’humanité que nous détruisons.
Nous détruisons également notre planète.
C’est la morale du XXI e siècle.
Et comment ne pas penser que tout Empire ?
Et comment croire que créer a un sens alors que la terre se meurt ?
Quel peut être aujourd’ hui le sens de la terre ?
La destruction s’amplifie.
Créer n’est plus qu’un divertissement pour ne pas voir la fin prochaine.
Elle sera juste une fin.
Il me faut donc créer par-delà la mort.
D’ où pour moi la nécessité de créer une vision envisageable, un au-delà.


Un bar avec l’enseigne Jupiler. De l’extérieur on voit surtout un espace assez grand, comme les intérieurs de Bruxelles.
Un quartier pas loin de Bourse, mais déconnecté de tout ce qu’on peut trouver à Bourse en matières tendancieuses. De la rue il y a de grandes vitres, des rideaux populaires à carreaux qui cachent le niveau des tables mais laissent apercevoir l’intérieur, encore qu’il m’a fallu pour bien le voir faire preuve de curiosité insolite.
Un bar quasi désert, si ce n’est cet homme à la peau noire, un rappel de ses racines africaines, et à l’accent idoine, preuve que cela ne fait pas encore trop longtemps qu’il s’est transplanté sous ces climats grisâtres. Il mange son plat du soir au comptoir en bois. Un bavardage avec cette grosse femme noire idem, sa terre nourricière, à propos du plaisir de manger comme au pays. Le noir réunit toute couleur dans la matière. L’ébène est d’or. De l’intérieur on entend une musique forte et lointaine. Il y a au fond du bar deux portes battantes noires que nous franchissons, Anisia, Agnès et
moi. La musique est nettement plus audible, les baffles sont énormes, quelques tables parsemées et qui ne sont pas faites pour admirer la piste et ses vedettes au centre. Tous ici sont des Africains, Anisia Uzeiman elle-même est rwandaise. Sa peau qui n’a pas pris le soleil depuis longtemps est juste un peu plus claire. Agnès Belkadi elle-même est algérienne, sa peau montre la morsure du soleil sur ses traits. Quant à moi je suis français, étranger voisin de cette Belgique. Anisia connaît les mœurs de ces bars africains continentaux, et elle commande une bouteille de Jupiler, qui se
vend au litre pour peu cher, qui est l’eau et le sel de cette terre d’asile. Un homme engage son désir vis-à-vis d’une femme, danse son désir pour cette femme, et il y aussi deux ou trois camarades hommes qui détendent la chaîne du travail. Et il y a Joey Starr qui roule dans la pierraille de sa voix une Mercedes-Benz. C’est avec ce gros son-là que j’ai réalisé à quel point sa voix portait trace d’accidents dont il n’est pas sorti indemne, mais dont il est sorti, malgré tout.


L’arrogance de la publicité à la télévision qui fait briller les paillettes pour aveugler ses fidèles sur le fait qu’autre chose existe. Quoi donc ? La pauvreté, pour exemple. Elle est digne. Il n’y a pas à en avoir peur. La télévision ne montre pourtant la pauvreté que comme une zone obscure et dangereuse, un abîme pour l’humain. Le petit peuple est pauvre, le petit peuple qui aspire à la richesse est pauvre d’esprit. Il a perdu tout ce qu’on peut apprendre de la vie en tant que pauvre, sur l’aliénation des possessions.
Il y a dans le poste un adonis possédant – et donc possédé – qui roule à pleine vitesse à travers des territoires qui fuient devant lui comme s’ils fuyaient devant leur conquérant (encore que conquérir une terre, c’est la connaître, lui ne voit que des lignes de couleurs abstraites lui passer devant les yeux) et qui est dans le Très Grand Vite comme chez lui. Il semble avoir été tout à fait quitte du prix du billet, comme l’idéal qu’il incarne est quitte de n’importe quel prix, son pouvoir d’achat étant tellement grand.
Le voyage en Corail de Marseille à Dijon dure six heures. Quand je prends ce train je regrette toujours les diverses dégradations qui ont eu lieu dans le compartiment. Quand on n’a pas grand-chose pour soi, on devrait en prendre soin.
Ce n’est pas parce que je ne peux payer le Très Grand Vite que je dois me retrouver dans un lieu que l’on a cherché à détruire. J’objecterai à toute condamnation de mon jugement que j’aime les trains Corail, et que je n’aime pas qu’on en fasse des lieux détruits. Cette destruction est un bien maigre signe de rébellion.
Il y a toujours diverses rencontres, comme celles de ce zonard avec son chien qui buvait sa bière, et divers cadeaux qui me parviennent, comme quelqu’ un qui me laisse son Canard enchaîné (ce qui fait déjà avancer un peu plus sur les terres de la révolte consciencieuse). Et puis quand je sors mon sandwich au pâté de campagne et ma banane, il n’y a personne pour me regarder de travers. Je peux même me déchausser et il y a toujours de la place pour étendre mes jambes.


Un vide. Un creux.
Tout avait pris un caractère absolument objectif, absolument rationnel.
La raison en tant que réflexe automatique pour parer aux difficultés les plus concrètes.
Mais j’avais disparu en tant que sujet.
J’étais anéanti. J’étais incapable de déterminer avec précision ce qui m’anéantissait, je ne ressentais que le dégoût de ma fragilité, de ma sensibilité anxieuse qui me fait chercher l’isolement au sein des autres.Et cette douleur qui rejaillit hors de propos.
Je me conduisais parfaitement, comme une machine automatique.
Les branches feuillues s’agitaient aux rafales de vent.
J’écoutais ce souffle violent.
Je regardais devant moi, après l’exercice de la conduite, assis dans la voiture, détachant un moment hors du déroulement du temps dans sa course infatigable.
Il y avait la porte de la grange de la maison archétype. Dessus une rosace que j’avais dessinée petit, amoureux de la géométrie asymétrique de la figure, et de sa simplicité. Je replongeais en terre d’enfance.
À l’endroit où se joignent les deux battants, il y avait ce creux dans le bois poli par les mains multiples qui avaient saisi maintes et maintes fois la porte pour l’ouvrir, la refermer.
Et je songeais aux mains de l’arableur, grosses, épaisses, laborieuses, et qui jamais plus ne saisiraient cet endroit commun du bois dans le passage du seuil.
Faire et refaire, c’est travailler.
Reconstruire sans cesse des châteaux de sable contre l’enlisement des marées et du vent.
Ce signe tangible de la porte, ce signe de ce que fut une vie. Cette peine de l’absence. Cette joie de la présence du signe malgré l’absence.
Je voyais sa main saisir la porte, je savais bien aussi qu’elle n’y était pas.
Alors j’ai pleuré, et mes larmes étaient une expérience de la mort.
Mon arableur avait cette sagesse de connaître que tout revient sans cesse, comme les saisons.
Enfant, il m’appelait « mon p’tit père ». Ma fierté dans ces mots d’être son égal, juste plus petit par la taille.
Père, je ne le suis pas encore, je doute certainement de l’être un jour.
Je le serai pour d’autres que mes propres enfants.
Il m’emmenait avec lui dans le jardin et je marchais pieds nus dans la terre ameublie par le travail.
Je ramassais dans mon panier les asperges que sa gouge avait soulevées de terre et qu’il posait sur le haut de la butte.
Je le faisais avec beaucoup d’application et de fierté de mon petit travail. Il me félicitait de les avoir bien rangées dans le panier d’osier. Un jeu d’enfant.


Je sais que tu es là. Pas tout près, mais pas loin… Tu es là insaisissable, impalpable, intouchable, mais pourtant bien réel. D’ une autre réalité, sans doute aucun, mais présent.
C’est une douleur de te savoir là sans pouvoir le confirmer à l’autre qui assisterait à notre entrevue. Je t’aperçois quand je ferme les yeux.
Sans toi qui me tenais lien de parenté je vais au travers du monde. Il me blesse par ton regard, par ton observation sur mes gestes.
Un jour j’ai voulu te rejoindre là-bas, et un chat a hurlé, sifé, en position d’attaque.
Sans doute n’est-ce pas ma place…
Entre mort et vie il y a un seuil, et des règles de passage.
J’aimerais les transgresser.
Mais nous restons l’un et l’autre de chaque côté du miroir à nous regarder, à nous désirer, et à ne pouvoir exaucer nos désirs.
C’est un endroit du manque qui se creuse en moi, c’est un endroit vide où je m’anéantis.
Bah, quand je regarde toute cette agitation qui résulte de la volonté de concrétiser, je préfère le geste vain.
Peut-être apprendrais-je, à force de répéter le geste, à tailler la pierre qui fera, à retardement, s’effondrer l’édifice.
Car il ne s’agit pas de monter plus haut, toujours plus en haut de cette architecture, il s’agit de laisser libre champ, pour que ceux qui le traversent puissent voir loin la dimension de l’horizon.
Celui qui regarde d’en haut voit des choses et des gens tout petits, et se dit « Oh, combien de chemin j’ai déjà parcouru ! » ; et celui qui regarde de son endroit à l’horizon, et voit des choses et des gens tout petits, se dit : « Ô
combien de chemin il me reste à parcourir… »
Et ce chemin de traverse est infini.
Quant à celui qui du bas regarde ce qu’il a à grimper, il connaît combien grimper est inutile, et combien ce précepte : « Dieu », écrase l’homme. Et celui qui marche, et qui à un moment donné s’arrête sur cette plaine, se détourne et regarde de toute part l’horizon, il sait combien sa position est relative.


Je prie pour que le monde cesse son vacarme un instant. Je prie pour le silence. Je prie pour le vide. Je prie pour que les morts aient un vide dans ce monde où venir habiter. Je prie pour écouter ce qu’ils ont à dire.


J’ai bafoué la nuit, je lui ai infligé une blessure du temps, j’ai été emporté au plus loin par de tentateurs démons : maintenant je sais qu’ils existent là, en moi, en une caverne où défilent des ombres trompeuses que je dois maintenant amadouer.
Et que faire sinon renoncer à paraître au jour ?
Le soleil m’a aveuglé comme au plein été pourrissent les jonchures de la rue.
Mon silence seul peut faire qu’on attende ma parole, et voici : ma parole est morte.
Seul fleurit mon silence comme une opiacée qui s’épanouit dans l’ombre.


Oreille attentive et bon vouloir, mais troubles de la vue, difficulté à se diriger dans le brouillard, manque d’agilité à se mouvoir dans le monde, borgne et boiteux, oreille cassée, bouche édentée et nez tordu.


Je ne sais pas comment il est possible de dire que l’enfance est une belle période. Sans doute cela vient-il du désir de fuite des responsabilités adultes.
Je ne sais pas comment il est possible de dire qu’on a eu une belle enfance. Les relations de cet âge sont cruelles et stupides. Peut-être est-il possible de le dire si on a été du côté de la cruauté et de la stupidité.
Nous vivons une époque d’infantilisation. Tout est moquerie, cynisme et dérision. L’indifférence est sans doute la qualité la plus importante aujourd’ hui.
La plus grande trace de cette infantilisation est sans doute l’idée que nous en aurons bientôt fini avec les difficultés et la souffrance. L’objectif premier que tous se donnent à réaliser est une sorte d’aboutissement de l’humanité où il n’y aurait plus d’effort à fournir. Le communisme visait un tel objectif concurremment au capitalisme. Le capitalisme est aujourd’ hui seul à poursuivre cet objectif, mais cet objectif n’a pas changé.
« Encore un effort », en réalité il faudra toujours fournir un effort.
L’effort est la condition humaine.


Seule la présence du bien en ce monde, et sa présence seule, sans action ni volonté, mais engagée dans le bien, sa
lutte passive et tenace pour faire venir à lui et guérir le mal, pourra amener les choses à leur soulageant dénouement.


Et quelle sera ma réconciliation ? Et dois-je même la souhaiter ? Ou bien dois-je continuer à ployer sous le souffle nauséabond de ce monde dont rien ne me protège ?
Pourtant il y a bien des sourires entrevus, esquissés sur le bord d’un trottoir où je marche en équilibre de la route, prêt à me faire renverser par le moindre éclat de soleil réverbéré d’une parole entendue à une autre, dans la joie de l’aléatoire de cette rue qui va marchant son pas d’homme au soleil innocent. Il y a bien ces musiques de mots que je réalisais pour le bonheur d’une femme que j’avais trop fait souffrir, et ces larmes qui ne viennent jamais dans la catastrophe, mais toujours dans la douceur de la contemplation après la catastrophe, telle une tendre déchirure de voir le monde éclore de nouveau.


Il y a ce balancement du mécanisme de l’horloge qui me berce, et qui m’éloigne de la furie du monde pour me traîner vers un paysage tranquille inimaginé, inenvisagé, non préconçu, qui ne sera donc pas – une fois n’est pas coutume – une déception.
Ce malheur qui vient toujours de l’espoir qui gonfle le foie d’illusions qui doivent toujours se perdre.
Tandis que je connais bel et bien comme un fait certain que je mourrai et que je me réconcilierai ainsi dans mon
aboutissement. Je suis inconciliant avec le monde et réconcilié avec ma mort.


Avec peu de mots. Incandescence. Équilibre des forces. Convergence des directions. Point initial. Seuil du monde et de
l’au-delà. Lieu d’allées et venues. Passages dans les deux sens. Ouvrir ou fermer la porte. Tenir la clé dans son poing,
ouvert ou fermé.
Accueil du souffle. Le souffle va et vient. Un jour il ne va et vient plus. Il va une dernière fois. Il était venu une première fois. Ainsi la vie, une forge. Travailler le fer par le feu. Prendre l’air là-bas, le souffler à cet endroit précis, à la base du feu. Que le feu monte et s’élève. En attendant la pluie.


Je ne suis pas vraiment un bon citoyen. Les problèmes de la société civique ne m’intéressent guère. Les problèmes du monde en général sont pour moi ce qu’ils ont toujours été, une iniquité. Un système fondé sur l’inégalité, une inégalité sur laquelle est fondé ce qui finalement a bien plus de raisons d’être que toutes les possessions : les privilèges. Peu importe à une personne riche sa richesse, mais savoir qu’elle jouit de certaines conditions, et que celles-ci sont inaccessibles – et de loin, du plus loin qu’il se puisse – aux autres, cela constitue l’essence de la jouissance. Mais je n’ai pas vraiment droit de cité, car je ne travaille pas. Je ne fais donc pas partie du système, je ne suis que son parasite.
Il y a aussi une autre sorte de jouissance, complémentaire à celle-ci : c’est celle que trouvent les petites gens à admirer les photos des magazines people et à lire les potins de la high society.


Le lac gelé par la morsure de l’hiver. Corps qui glisse sur la glace, danse cette glissade, joie qui virevolte en attendant le retour de la lumière.
Nuit douce et calme. Nuit germinante. Que la nuit donne de sa douceur au jour qui viendra demain. La nuit d’aujourd’ hui n’est plus inquiète. Elle est parfois troublée par les pensées de la suractivité de la veille.
Fermer la porte, se tenir dans le secret. Ne pas révéler le secret, faire luire le mystère.
La lutte ne doit pas être frontale. Toujours contourner l’obstacle. Telle l’eau, remplir des limites, finir par les déborder.
Ce rayon cruel qui scintille sur la lame en plein midi. Les meurtres s’opèrent à découvert.


Je suis un homme errant sur cette terre. Le monde entier est ma terre d’exil. Je suis venu d’ailleurs et je garde la nostalgie d’un Éden sacrifié à dieu.
Mille et mille fleurs qui parlent naïvement de leur sexualité au cycle perpétuel.
L’homme domine désormais la nature, mais ce qu’il construit ici se détruit là.
L’homme autochtone de la terre saccage la beauté originelle. C’est la raison de ces larmes qui s’écoulent au fond de mon cœur, de ma nostalgie du lac mélancolique qui fait régner les brumes dans ma vallée profonde.
Ainsi je suis ce promeneur solitaire au sein de la foule, faisant semblant d’être semblable.
J’ai des cernes sous les yeux qui leur font croire que je suis adepte des paradis artificiels. En réalité, j’ai vu l’enfer et cette vision est restée à jamais gravée dans mon regard.
Je suis cette femme qui recueille en son bas-ventre la plainte du vent qui tourbillonne en son sein.
Je suis cette vierge, ce vase rond où jamais un homme n’a craché.
Je suis cette pute qui accueille toute larme de toute queue.
Je suis ce soldat désarmé dont la digue de violence cède et inonde une chatte chaleureuse.
Je suis cet enfant qui tente de ne pas oublier d’où il vient, qui ignore comment il a été fait mais se souvient d’avant qu’il ait été fait. Je suis cet homme qui fait un effort de mémoire pour garder cette sagesse de l’enfance.
Je suis ce prêtre qui partage la viande de l’agneau et en offre une part à son dieu.
Je suis moi-même une part de ce dieu et j’essaie de trouver cette même part en chacun.
Je suis ce spectateur qui dit « je n’y comprends rien mais ô quelle beauté ! ».
Je sais que la beauté m’apprend davantage que la raison.
Je suis ce chien qui s’est écarté pour lécher sa blessure.
Je suis ce loup qui demande à la lune de le rejoindre.
Je suis ce lion que les gazelles fuient et qui lui refusent leur chair.
Je suis cette biche qui pleure la bêtise du chasseur.
Je suis cette pierre que fend le gel.
Je suis cette neige qui dénonce le sang.
Je suis la feuille qui se laisse porter dans sa chute.
Je suis le chemin qui est tracé pour se perdre en confiance.
Je suis la rose des sables ciselée par la rose des vents.
Je suis la roche qui s’érode.
Je suis la lave qui dort en songeant à la puissance de son réveil.
Je ne suis pas un produit clairement identifiable.
Je ne dicte aucune parole personnelle ou officielle, ma bouche chante dix mille langues.
Je préfère laisser la question sans réponse. Je suis d’avis que les questions – et leurs développements – sont plus belles que les réponses.
Je me révolte pour un non qui est refus de la réponse facile.
Je refuse le déterminisme.
Je suis indéterminé.
Mon cœur se serre en final.
J’ai donc un avant-goût de son arrêt définitif.
Cela me libère de savoir que le temps peut s’arrêter.
Cela me soulage de savoir que les choses aboutissent.
Je ne pars jamais avant la fin. Un homme ne devrait jamais finir avant d’être abouti.
Tout se termine en queue de poisson, qui est le symbole de nos origines darwiniennes.
Je suis à rebours.
J’attends.
Je mange, je bois. Et j’attends.
Je veux connaître la suite. Et au besoin je l’inventerai, l’imagination ne m’ayant pas été donnée comme outil en pure
perte.


Le monde comme un jeu de cubes. Un cube a six faces. Six faces forment un volume. Et ainsi de semaine en semaine
construire une face, puis une autre, encore une, une quatrième, une et encore une, afin de pouvoir prendre ce cube
comme assise pour construire la semaine suivante.


La vie comme un jeu de cubes, et comment donc les agencer ?
Le mouvement nécessaire du théâtre brechtien a mis en échec la représentation naturaliste.
Le naturalisme correspondrait à la philosophie bourgeoise, c’est-à-dire à celle qui a suivi le mouvement révolutionnaire de la fn du XVIII e qui a pris naissance en France.
Il apparaît que la bourgeoisie s’est crue arrivée au bout du chemin, et que le nouvel ordre mis en place lui a paru définitif : en ce sens, c’était le retour à un état naturel paradisiaque qui aboutissait l’histoire. Mais voilà : la bourgeoisie a à son tour mis en place un système oppressant, d’où la chute de son idéologie.
Maintenant me vient la pensée suivante : et le communisme qui réclamait la lutte finale, et qui mettait en place un monde nouveau n’ayant jamais eu lieu, qui promettait l’Éden sur terre ne s’est-il pas retrouvé dans la même
configuration ? N’a-t-il pas prouvé par un système bureaucratique sa capacité à abuser du pouvoir et à oppresser à son tour ?
La révolution doit se renouveler sans cesse !


Il n’y a pas de merveilles, il y a un paysage désolé qui n’attend que l’herbe qui un jour poussera, à une autre saison.
Il y a ces dépressions qui tourbillonnent dans mon ciel blafard d’un jour d’automne.
Il y a tout un monde à déconstruire à reconstruire dans le même temps, il y a ce travail de ce titan qui attend ton humanité pour redevenir un travail précieux et fragile…
Il y a qu’aucune technique ne peut aider à se construire soi-même !
Il y a que la technique multiplie les moyens, que les objectifs que l’on peut atteindre sont à de potentielles distances infinies, mais il y a que le geste même, celui dont le mouvement seul compte, est automatique et dépourvu d’esprit.
Si la vie ressemble aujourd’ hui à un moteur HDI, alors je serai petite particule de poussière, je m’insérerai dans le mécanisme, et j’enraierai le moteur.
Je crie pour percer le silence, pour le faire entendre.


La vie est parfois séparée en une dichotomie du bien et du mal. C’est alors l’enfer. La vision manichéenne de la vie est infernale – et Satan poursuit sa chute solitaire. Ce qu’il faut c’est réunir les contraires par l’amour – Gabriel, va prendre cette femme, elle n’a jamais connu le sexe des anges. C’est pourtant un combat sans merci qu’il faut livrer contre le mal,
mais non par le mal et la guerre, par le bien et la paix.


La femme désire le phallus.
L’homme désire qu’on désire son phallus.
La femme décide de ne plus aimer le phallus, mais de s’en accorder un.
L’homme désire être femme.


J’ai décidé d’être un hermaphrodite.


Il n’y a jamais de certitude de la victoire, et la lutte est douloureuse.


La terre ne nous appartient pas.
C’est ce qu’on devrait apprendre à la chasse.
Les sociétés de chasseurs ou de cueilleurs sont les premières à avoir existé.
Le chasseur, quand il prenait du gibier, avait le sentiment d’avoir troublé un ordre du monde.
Ce monde est le monde d’en dehors de l’homme et qu’il ne peut maîtriser : celui des forces de la nature. La nature est sacrée.
De quel droit l’homme tue-t-il un animal de la nature ?
Il se l’accorde, parce que lui doit vivre aussi.
Mais pour se faire pardonner d’avoir troublé la nature, il offre aux dieux et déesses de la nature une partie du gibier,
avant de s’en nourrir avec sa famille.
C’est le seul véritable sens du sacrifice que je connaisse.


Le monde est une triste pelure d’orange, qu’il est prévu de jeter quand on aura bu tout le jus du fruit.


Il n’y a de véritable espoir qu’en cela : pas de plans sur la comète. Ne trace pas de projets sur ce qui ne t’appartient pas !


La plaine délavée par les pluies suinte.
Les feuilles sur les branches laissent tomber goutte à goutte l’eau bénéfique aux racines qui remonte par le tronc jusqu’ à elles. La forêt a ses sentiers perdus que seuls connaissent quelques cueilleurs. On trouve dans les sous-bois les mûres d’août, les champignons de septembre, la neige de l’hiver et le lilas de mai.
Et l’hiver par temps de neige on coupe le bois. On viendra le rechercher aux premiers jours du printemps pour le sortir, on l’empilera, on le sciera l’été et on le brûlera l’hiver prochain.
La chaleur du feu pour le temps du repos.
La sève des arbres redescendue en hiver.
Le froid qui revigore les vigoureux et engourdit les gourdes mal dégourdies.
Et le temps de la lecture le soir dans le cercle du feu.
Je passerai ma main à la flamme pour prouver que ce furent là mes plus belles heures.
Mais l’été, mon dieu, l’été ma main brûlerait.


L’homme tente de maîtriser de plus en plus de domaines, mais la totalité lui échappera toujours, car l’univers est infini.
C’est à cela qu’il faudrait réfléchir. À la vanité de nos présomptions.


Ce pourraient être d’épineux et buissonneux dédales dans lesquels se fait la cour courtoise et on se perd on se trouve se reperd et se retrouve ainsi ne va pas la vie non il n’en est pas ainsi une trajectoire la mienne que je façonne à la force du poing pour continuer à me diriger vers quoi je ne sais mais il importe de continuer et de ne pas abandonner et de ne pas rebrousser chemin jamais on m’a donné un miroir cassé pour que je contemple dans les yeux des autres mon éternel malheur dans leur mine formidable alors que ma gueule cassée tel je suis tel je deviens un peu plus chaque jour mon visage montre mes plaies et comment je me défends c’est-à-dire très très mal somme toute je suis un très très très mauvais soldat dans cette guerre que d’ailleurs je n’ai pas choisi de faire mais qui est tout de même ma nécessité de chaque jour car il ne faut pas laisser l’attaquant j’ai perdu il ne me restait rien qu’une chemise j’ai rejoué j’ai encore perdu maintenant je peux dire que je joue ma peau maintenant je peux dire que je l’y laisserai malgré toutes les assurances que l’on peut prendre contre cela on essaie de se garantir certains ont peut-être une belle vie mais nous
tous sans aucun excepté nous partagerons ma mort c’est ainsi c’est écrit on a le temps qu’il faut on l’utilise comme on veut moi je ne sais pas manier cet outil-là mais il faut pourtant que l’éphémère se brûle et ce qui vient après je ne sais pas nul ne le sait et pourtant je peux dire que je fais ma vie en considérant cela ce qui veut dire que je n’escompte rien pour l’après mais que tant de choses dans l’avant me paraissent ne pas valoir la peine d’y user ses forces je cherche je fouine je cherche quelque chose qui pourrait valoir la peine voilà je fais ma vie en considérant cela certains diront que je
gâche un temps précieux ma foi je leur retourne le compliment et pourquoi désirerais-je donc ces futilités sommaires quelles armes cela me donne pour le seul le vrai combat vaincre la mort


Au gré des puissants je m’exécute. J’accomplis leur volonté, qui est que je produise pour eux des richesses dont aucun profit ne me revient, pour moi tout juste de quoi mener ma petite vie de petites tâches quotidiennes que j’ai peine à faire tenir dans mes heures de loisirs. Dans mes heures de loisirs je n’ai loisir que d’assurer la pérennité de ce mouvement : laver ma demeure, me faire à manger, laver la vaisselle, laver mon linge et me laver, tout actes pour ne pas perdre ma dignité, par amour propre qui est peut-être le seul existant dans ma triste vie.


Mon travail est ingrat non de par sa nature, mais de par le peu de gratitude qu’on me témoigne pour le faire.


Consommer – produire – consommer – produire – consommer – produire – consommer – produire – con…


Ma vie ne consiste-t-elle qu’en ces quelques heures que je passe à travailler ?
Pas le courage de me lever matin et de me retrouver face à mon inutilité. Tout ce temps à ne pas savoir qu’en faire.
Comme c’est triste. Mais toujours pas de larmes.
Mes drames sont de petits drames, ils ne feraient pas un livre, pourtant pour quelques petites blessures quelle violence n’ai-je pas ressenti. Il n’empêche, ce sont des drames sans intérêt.
Ce que je voudrais, c’est sortir de ce moule qui emprisonne la matière bouillonnante de mon âme. Ce que je voudrais, c’est exploser le moule.
Ce que je voudrais, c’est saisir ce qui est au-delà de moi. C’est que la force dormante qui est tapie au fond de moi se réveille, sans me déchirer, c’est l’apprivoiser, c’est qu’elle remonte à la surface lentement. Il y faudrait une main experte.
Les formes changent, le fond reste le même, des entrailles à déchiffrer.
Où en sommes-nous ?
Un point perdu sur une carte, et pas de boussole.
Alors fait donc de cette position relative, avec perte de repères, le cœur même de ta décision d’absolu. L’absolu, ça
n’existe pas, ça s’invente. Et cette quête dans l’immédiateté est éternelle.


Dans chaque acte de ma vie, il y a le fantôme négateur de cet acte qui vient me hanter et qui donne à cet acte l’aspect
de la tortuosité.
Cela fait que mon acte est une lutte dans la réalité physique et en même temps dans l’invisible métaphysique contre ce fantôme.
Éprouvant cela, je n’ai jamais l’insouciance de l’acte libre. Tout acte est chez moi une nécessité.
Difculté éprouvée à détenir des fantômes positifs en lesquels pourrait se porter toute la force de ma foi.
Il faut pour cela que ma je prenne conscience que la foi est aussi un acte – ! –


Rires débordés sabordant les pirates industrieux et capitalisant
Je fais le travail à l’ancienne dix heures par jour : le temps demandé pour le soutien de cette direction que je donne à la nature pour qu’à son tour elle me donne ce qu’elle a de substances
Comment soutenir la vie
Comment s’opposer aux mauvaises herbes qui ne me nourriront pas
Mais encor je pourrais en cultiver quelques-unes en tant que simples médicinales
Je sais intuitivement qu’il y a du rythme dans mes phrasés
Je ne compte pas les pieds de ma prose
Pour celui qui voudrait analyser il y aurait matière
Mais tout cela n’est pas construit
Ce n’est que nature, la mienne
J’ai le cœur large et ce que dit ma bouche est ce que dit mon cœur
Et donc maintenant à eux de prononcer les paroles
Et de dire le fond de leurs pensées
Quoique je préfère
N’être point là à basse marée
Il y aurait bien quelques coquillages
Mais déjà ils sont par trop pollués


Si ton cœur fait naufrage sur des vagues amères, pense à moi.
Si les arêtes montagneuses se font trop abruptes, pense à moi.
Si les chemins se dérobent sous tes pas, pense donc un peu à moi.
Si tu es perdue dans la virginité d’une forêt dense, pense à moi.
Car il n’est pas d’océan que je n’aie dompté, de pics que je n’aie escaladés, de routes où je me sois perdu, de virginité que je n’aie déflorée.


Moi qui désire que la vie soit une pierre taillée dans sa pureté diamantaire…
Moi qui désire que les connaissances se taisent au profit de la sagesse.
Moi qui lutte pour ne pas hurler mon désespoir dans un désert incompréhensif.
Moi qui sais pourtant que si ce désert avait la volonté d’entendre alors il saurait pourquoi les grains de sable
vagabondent au gré des vents.
Mais rien n’est décidé ainsi.
Mais les roses naissent de l’incertitude.
L’art n’est jamais qu’une imitation de la rose des sables, de la rose des vents.
Il est possible de le faire artistiquement, il n’est pas possible de l’étendre au domaine entier de l’existence.
Et pourtant c’est bien de savoir exister qu’il s’agit, pourtant l’art donne l’étendue immense de nos facultés.
Mais si dans l’art sont utilisées des conventions, les conventions concernent aussi bien le domaine quotidien et elles usent la trame du possible.
Mais un mot, une phrase telle que je n’en ai jamais prononcée ni écrite
Un entrelacs hiéroglyphique
Destiné à un humain dont le regard
Se saisirait comme une main se saisit
D’un sens encore inentrevu
Un peu comme on commet un vol
De quelque chose que personne jamais
N’aurait pensé que ça lui appartienne
Et si par malchance
Quelqu’ un serait venu à savoir
Que c’est là aussi sa propriété
Il s’en serait débarrassé
Pour ne pas jouer de malchance
Pour ne pas tenter le diable
Courant toujours derrière la pureté des voiles
De celle-ci je parlerais encore
Pour ne pas oublier celui-ci


Il n’y a pas de temps et il n’y a pas d’espace. Toujours et n’importe où, tel est le lot gagné à la roue de fortune de la grande foire de la vie.
Épuisement, délavement des pensées, des systèmes qui sont autant de prismes de la réalité, et pas moyen d’articuler cela ensemble, il ne s’agit que de nuances pour aller de l’un à l’autre, je voudrais du contraste qui dessine enfin un corps.


La fleur a peur d’elle-même, de sa fragilité
Écrire des mots doux sur la page, la caresser
Lui donner quelques bisous à dix sous
Et puis cela s’annule,
Et la mule reste avec son fardeau
Le dos tourné aux émules
La messe noire me fait une carrure d’armoire
Car quand vient le carcan
Il est déjà trop tard pour s’en défaire
Poigne de fer qui vous tient enserré
Le vœu reste pieux, et un pieu assassine
Miroir alloué aux mouettes, Marseille et ses bancs de poissons qui fuient et refluent dans la rue du courant d’air
La vieille a un chiffon pour fichu
C’est la suite de l’histoire.
L’autre vieille a fichu caractère,
Toujours chiffonnée pour des broutilles
Le monde est mal fichu.
Partir pour ne plus revenir, et écouter le vent qui nous rapporte du lointain les pleurs de nos prochains
Une simple ouverture par laquelle je me suis faufilé dans le monde
Une déchirure profonde accompagnée de cris et de couleurs


Un hurlement sauvage à la face du monde pour lui faire comprendre toute l’opposition qu’il y a à mettre contre lui, afn
de s’en protéger, afn de s’en préserver, afn de préserver en soi ce qu’il y a de meilleur, et qui se décomposerait sur son
fumier. Un cri pour faire entendre ce silence intérieur-là, qui viendrait après, plus tard, un cri qui révèle la prière faite
pour l’apaisement.
J’aime le bonheur qui vient après la peine et qui contient encore cette peine, qui la contient à l’intérieur d’elle-même
comme un contrepoint.


La loi n’est pas l’affaire de l’homme. Cependant l’homme en fait son affaire.
Ce qui est l’affaire de l’homme, c’est de pleurer sur la misère. Ce qui devrait être l’essence de la justice.
Mais les institutions judiciaires humaines ne font que protéger les richesses et assurer le fait qu’elles ne changent pas de main.
La critique est facile, facile aussi de se boucher les oreilles avec de la cire comme on cachette le secret d’État du sceau d’un ministre de l’Intérieur, après une vente d’armes pour la mise en place du prochain dictateur qui engraissera notre démocratie.


Je suis porté par la terre. Oui, la terre me porte.
Je m’abandonne dans mon souffle, je laisse aller, je m’abandonne dans mon souffle avec vulnérabilité, car ce pourrait être le dernier. Mais ce n’est de toute façon pas le fait que je le retienne, ce souffle, qui empêchera que ce soit le dernier.
Et si ce souffle était le dernier, je l’accepterais, je ne veux pas me figer dans la peur de la mort.


Au versant de la colline, à l’endroit où le soleil brillait d’une douce famme et chauffait le corps en dardant d’ardents rayons, il laissait les chimères du temps, il oubliait la vie de la société, il reprenait contact avec la nature mère, il redevenait homme pour les hommes.
Oui, c’est là d’où je viens, se disait-il, et je l’oublie chaque fois dans des problèmes annexes, dans des pensées abstraites, dans certaines douleurs et certains plaisirs de la vie qui font diversion.


Les hommes doivent-ils ignorer la profondeur qui les constitue ? Ne peuvent-ils que s’oublier à travers la fonction sociale ?


Empathie, sympathie, antipathie, autant de mots qui désignent le pathos.
Mais quelle est cette volonté d’un monstre froid qui se veut sans pathos ?


Ce sera en septembre. Il pleuvra. Je serai resté à l’intérieur de la maison, à regarder la pluie rencontrer la mer. Je me serai perdu dans cette vue. Je m’oublierai pendant des heures, j’aurai l’âme triste, nostalgique et mélancolique, je serai seul, et je ne saurai pas comment me comporter face à la vie.
J’aspirerai à abandonner les combats pour rejoindre cette eau, cette eau qui n’en finit pas de tomber liquide, de remonter vaporeuse, de se figer glacée.
Peur du confit qui me fait m’éloigner du monde, envie de sortir de la bataille, d’abandonner la lutte. Je sais que certains sont assoiffés du désir de mener la barque, et qu’ils la mènent à bon train vers l’enfer d’ici-bas, la lutte et la guerre. Et je me sens impuissant à nouer un dialogue avec eux, ils savent tellement que je sens d’avance toute l’inutilité qu’il y a à déployer ses efforts pour changer le cours.
Envie de laisser le monde partir à vau-l’eau, envie de ne pas me salir au contact de cet absurde. En rire, seulement.
Ce sera en septembre, et les guerres continueront bien après moi, il en viendra encore de ceux qui savent, il en viendra toujours, aveuglés de certitudes, et le monde en crèvera, et je préférerai crever.


J’ai enregistré ce soir sur la messagerie du portable d’une amie « Je pensais à mon arableur ».
Ça ne se fait pas.
Personne ne comprend cette phrase.
Elle dérange trop pour que personne ne garde la conscience claire, et comprenne.
Mon arableur est mort.
Mon arableur est mort en mars.
Les giboulées de mars.
Il y avait beaucoup de neige à ce moment-là, un jour les trottoirs étaient verglacés.
Un ami est tombé et s’est blessé l’arcade sourcilière.
Pauvre arableur…
Il était à l’hôpital général, en service de réanimation.
Il y avait beaucoup de machines autour de lui qui le maintenaient en vie.
Les personnes du service étaient très gentilles.
Elles ne pouvaient pas beaucoup nous rassurer, il n’y avait pas d’explication ou d’espoir concret à donner sur le destin
de mon arableur.
Il est des choses qui échappent encore à la science. Il y en aura sans aucun doute toujours.
Les machines me dérangeaient. Elles faisaient du bruit avec leurs mécanismes et leurs bips électroniques.
On voudrait se recueillir près de son père et c’est impossible de ne pas entendre ces bruits.
Les machines tentaient de remplacer le cerveau de papa, qui ne maîtrisait plus les forces élémentaires de la vie.
Inspirer. Expirer.
Il avait un tuyau dans la bouche pour singer le mouvement respiratoire.
Pauvre arableur…
Il parlait. Il délirait.
Il demandait de le détacher et c’était difficile cette fois-ci de désobéir.
Il avait les pieds et les mains attachés à son lit.
Une fois il s’était délié, s’était levé, était tombé, s’était blessé.
On lui avait mis des bandages autour des mains pour qu’il ne se serve pas de ses doigts.
Il disait « Papesse, enlève moi mes moufles. Je veux me lever et mettre mes chaussures de ski, donne-moi mes bâtons ».
Il aimait beaucoup glisser sur la neige en hiver et marcher en montagne l’été.
C’étaient ses vacances.
Le reste du temps il menait deux vies en une.
L’une au travail.L’autre…
Au travail.
À table il s’endormait. Après avoir mangé, il tenait sa serviette des deux mains aux deux bouts et cela faisait un bandeau où il laissait tomber sa tête.
Pauvre arableur…
Il avait eu un accident vasculaire cérébral deux années plus tôt.
Depuis il pouvait faire beaucoup moins de choses et dépérissait comme une plante qui a besoin de lumière.
À l’enterrement nous avons planté l’arableur dans la terre.
Il était une bonne graine d’homme.
Lui il avait planté milliards de graines et pris soin des plantes sa vie durant.
Ainsi ce soir j’ai pensé à mon arableur.
De la même manière qu’on arrose une plante.
Mais personne ne comprend cela.


Comme une envie de laisser la vie aller à la dérive. Pourquoi toujours tant s’accrocher, que signifiait ce délire qui cachait sa vérité ?
Amour du lieu cassé, de l’argent manquant pour les réparations. La vie est là avec ses signes de faiblesse.
Mon doigt qui glisse sur ta joue, qui essuie la larme qui coule. La douceur a ce prix de l’eau que versent les yeux, car en te rendant sensible aux beautés du vivant, tu ne peux pas échapper à ses blessantes blessures.
Un œil qui brille, brille de joie, joie cruelle comme toute joie l’est intrinsèquement, livrée en regard des plaies.


Arableur, il fut effectivement des moments où mon sentiment a tourné au vin aigre de la haine contre toi.
De la rage contre toi.
Tout cela n’est plus de saison.
Aujourd’ hui je te dis de partir en paix. Tous nos comptes anciens et futiles sont réglés.
Mon feu qui s’est ensauvagé ne ravage plus que moi-même.
Je reste seul exposé à la brûlure de ce soleil qui cache les étoiles que tu vas partir rejoindre.
Je me tordrai encore sous la douleur d’avoir irrémédiablement perdu un être qui aurait pu se décider à recevoir mes
coups.
Je me frappe non de remords ou de regrets mais de lutte sans ennemi.
Alors je serai encore celui-là pour moi-même.
Tourbillon de vents, vrille de mes nerfs, spirale déchéante, soupirs nauséabonds, pleurs sur le sol aride de ma joue – je ne pleure toujours que d’un œil, le vrai.
Susurre-moi à l’oreille la scission de mes âmes, ne détourne pas ton regard de la découpe des parcelles livrées à l’ivraie de ma plaine monotone et souviens toi encore de la plainte du vent froissant un sol frissonné.
De ces fragments de poterie je tâcherais de faire un vase nouveau insufflé d’une âme nouvelle.
Je me suis détruit consciencieusement, avec toute l’application requise d’un client professionnel de l’agence pour l’emploi.
J’ai encore des restes de vieux débris que je pilonne pour les rendre à la poussière.
J’en ai la gorge sèche et la soif de l’ivrogne.
Je boirai un jour mes déboires jusqu’ à la lie. Ils ont sédimenté dans le fond de la mer rouge sang qui bouillonne enclose dans un corps enfiévré.
Que la plaie se referme sur les soldats de ces armées de mes obscures années d’esclavage et que reviennent lait et miel.
Quand l’amour est muet, la mort redonne des thèmes détestateurs.
Entends à travers eux mon impuissance.
Lis entre les lignes qui tu es, pour toujours et à jamais.
Que ce silence fasse vibrer les harmonies universelles à tes oreilles.
Tu auras pour toi les archanges, je reste avec la douleur, cette unique humaineté.
Que le soc me retourne les tripes pour exposer mon cœur à la prochaine pluie.


Le train partira de la gare de Dijon à 6 h 30. Le voyageur entendit le réveil sonner à 5 heures. Il se leva immédiatement,
dans le regret de la perte des rêves voués à l’oubli du réveil.
Il faisait nuit noire ce matin du 29 novembre 1998.
Il remplit la cafetière italienne, mit le café sur le feu et s’assit à la chaise de la cuisine.
Il refusait l’état brumeux de ce réveil et ne voulait pas rester assis là sans rien faire, car à partir de rien s’éveillerait quelque chose, et lui ne voulait que le rien. Ainsi roula-t-il une cigarette et il la fuma, appréciant ce geste qui lui permettait de conserver le rien dans l’attention qu’il portait à la saveur de la fumée, à la brûlure de ses poumons, à la cendre que devait recevoir la petite sous-tasse posée sur la table.
Et merde, voilà que ça recommençait, pas moyen de s’en tenir à l’instant et aux sensations de cet instant.
Souvenir de ce cadavre mort d’avoir trop fumé, et absurdité de se tuer soi-même, et ferait-il subir à ses proches les visites au service de cancérologie ?
C’est comme le café, il faudrait prendre du thé, cela serait meilleur pour ses nerfs.
L’autocontrôle avait repris ses droits, et déjà la journée infernale.


Pure imperfection immuable : la vie.


Pourquoi ai-je oublié si longtemps les terres naïves de l’enfance ?
Qu’avais-je fait de ce trésor d’innocence sans prétention ?
J’ai toujours eu une faille en moi, semblable en cela à n’importe quel autre être de l’humanité.
Mais à ne voir que cela c’est un aveuglement sur tout le reste.
De mon père il me reste ce trésor enfoui de la simplicité, de l’humilité qu’il y a à creuser son sillon dans les bornes de
notre champ, notre petite étendue d’être à cultiver…


L’homme qui fume assis sur une poudrière.
Tout le monde condamne l’homme, l’inconscience de son geste,
Mais : qui donc l’a installé sur la poudrière ?
Quand le monde est une poudrière,
Nul ne devrait plus fumer,
C’est une logique,
Mais qui donc se chargera de désarmer ?


Que ma voie ne suive jamais la trace maudite de la tragédie.
Et pourtant combien j’admire la force démesurée de ces hommes, oui, cette force qui dépasse la mesure de l’homme et qui pourtant ne peut aller outre celle de l’oppression.
Que je sois capable de pleurer sur mes limites humaines et que ces pleurs inondent le sol aride sur lequel mes pas soulèvent la poussière.
Je veux marcher comme ce gardien de chèvres qui mène paître son troupeau
Avec cette marche malaisée dans la terre humide en sifflant.


Quelle est cette opiniâtre lutte que je mène contre moi-même ? Quel est cet âpre combat ?
Y aurait-il une incapacité à se mettre à la portée du présent et à accepter de ne pas comprendre ? Sans doute avec le
doute…
Je me suis mis en moi-même comme en état d’encaisser les attaques des autres. J’ai refusé de me défendre.Mais aucun crédit n’est apporté à un lâche.
Feriez-vous confiance à un homme qui ne vous écarte pas de lui quand vous faites un mauvais pas dans sa direction ?
Il y a de bonnes trajectoires pour aller tout droit au cœur de l’autre.
Mais il ne s’agit pas de cela.
Les mille détours et les mille ruses nous demandent sans cesse de faire appel à l’intelligence là où nous voudrions
épancher notre cœur et le désaltérer à des sources vraies.
Ne jamais laisser un brigand vous prendre tout ce que vous avez de meilleur.
Il faut combattre contre les autres, aussi, parfois.


Mais qu’a-t-elle à faire de moi ?
La vie a un goût de fer
Et de guerre aujourd’ hui
Je n’ai qu’envie de sortir de ma tranchée
Pour courir sous les balles
En espérant qu’une d’elles m’atteigne
Elle m’aime
Comme une icône
Devant laquelle brûle une bougie
Pour qu’on puisse penser à autre chose
Mais quand l’icône elle-même s’éteint
Personne pour la rallumer
Cette autre est un vampire
Qui suce mon espoir
Malgré toute la désespérance
Que je mets à vivre
Nul ne s’inquiète
De ma vie bancale
Et moi qui suis près de la chute
Chacun m’appelle pour que je le soutienne
C’est cela la part des anges
Et un chien n’en voudrait pas pour pâtée


Ample. Abonder. Abonnir. Accueillir. Accompagner. Animisme. Atome. Alliage. Alchimie. Artefact.
Malléable. Machine. Martel en tête.
Oracle. Oraison. Olfactif.
Usuel. Universel. Unir. Unanime.
Réaliser.
Affrioler. Ardent. Aggraver. Agrément. Arroser. Avoine.


Toi, tu me poses une énigme.
Une énigme qui n’a pas de réponse.
La seule manière de répondre, c’est de croire, ou de nier la question.
Et moi je n’ose pas croire.
Cependant, jamais je ne nierai la question.


Et pourquoi, et pourquoi, et pourquoi,
Et pourquoi pasMe retrouver un temps dans tes bras,
Oui, il se pourrait que tu acceptes de me saisir,
Tu me dis charmant et je te trouve charmante,
Plaisir de cette petite brise qui tourbillonne dans nos esprits
Et qui fait sa musique comme le vent dans les branches d’un hêtre.
Tu as un visage qui m’invite au voyage avec toi,
Qui m’évoque une terre un peu plus au sud,
Plus proche du Sud, une terre d’asile et de paix,
Les multiples odeurs que tu délivres,
Une ivresse aux parfums délicats juxtaposés,
Une ivresse de la complétude de ces parfums.
Ton œil est précieuse pierre reflétant la lumière de ton sourire, un éclat noir.
Ta bouche, ô ta bouche,
Elle savoure les mots qu’elle dit,
Elle les dépose en moi et me les fait goûter,
Pour que je puisse parler à mon tour de ces saveurs-là.


Et où donc me porte mon pessimisme ?
Et ne puis-je me faire aveugle en innocence pour perpétuer le geste ?
Et dans ce geste il y a l’espoir et l’attente d’un au-delà vivant.


Je ne sais rien de toi, tu ne sais rien de moi ?
Bien sûr que si, tu me connais au sens biblique du terme, et cela c’est la plus grande connaissance de l’être.


Dans le jardin s’écoule une source vive d’eau pure et limpide.
Les herbes sont folles tout autour, folles d’amour pour cette source.
Elles ont pour impossible désir d’étancher leur soif inextinguible.
Elles portent des fleurs pour vénérer la beauté de leur amour.
Elles créent des artifices qu’il est difficile d’ignorer.
Elles écoutent la source pleurer sa joie de s’épancher dans la beauté lumineuse de l’aurore.
L’amour est un feu qui consume une absence.
L’absence est un creux qui appelle un toucher.
Le toucher ne peut faire qu’effleurer l’absence.
Cela demande beaucoup de délicatesse de caresser un être qui pense ailleurs.
De le faire venir doucement vers soi.
Il faut autant de tendresse qu’il y a de manque.
L’être humain est un équilibre précaire.
La nature en est le reflet. Et il n’est pas si idiot de penser qu’il faut sacrifier beaucoup à cet équilibre naturel où chaque
chose tient en appui sur une autre.
L’amour n’est pas réciproque.
Elle pense à lui quand je pense à elle.
Sans doute quelqu’ un d’autre pense à moi dans l’effleurement d’un autre.
L’amour est une consolation amère. Un ultime remède à son propre mal.
Et cela ne réussit pas toujours.
Le soupir est un vent continu qui siffle une petite rengaine.
Il rend la dégaine bancale.
Un estropié funambule.
Certains mettent beaucoup d’application à limiter cette série cyclique par la borne d’un choix conscient et raisonnable.
Mais qu’importe puisque ce n’est pas de ce domaine dont je parle. Je parle d’une voie brisée qui ne cesse pourtant de parcourir son cheminement.
Il est un monde désordonné qui ne cesse de défier la logique et sa méthode.
Il est fait pour s’y perdre. Sans doute le seul moyen de finir par y découvrir les bribes de sens.
Une mosaïque dont il faut s’écarter pour savoir ce qu’elle dessine.
Un puzzle où il reste toujours la pièce manquante.


J’aime juste le petit reflet de lumière qu’elle a dans l’œil, une promesse sans réalisation à venir, mais déjà un don en soi.
Là est peut-être le secret de l’espérance sans désespérance : un don gratuit et sans retour.
Une petite lumière allumée au coin de l’œil, et qui veille sur l’autre.


Il y a parfois un vent amer qui soufe sur les plaines, ton soufe à toi est toujours tiède et doux entre tes lèvres
charnues. Il y a des mots que tu dis, je ne parle pas de ceux que tu prononces indistinctement, je parle de ce que
j’entends quand ma main caresse ta taille.
Dix-huit ans et vingt-huit. Ça ne veut strictement rien dire puisque tu sais déjà essuyer d’un rire mes soupirs de lassitude
et me faire soupirer de nouveau après toi.
Tu es un alliage de la force et de la fragilité, de l’insouciance et de cette connaissance que l’on a quand on est déjà
revenu une fois de tout à ce point essentiel qui est l’encre des profondeurs.
Je souhaite être un port de plaisance baigné de soleil où tu pourras toujours revenir après les jours de navigation.
Si un jour tu as besoin de poisson, prends-moi dans ton flet.
Si un jour nous prenons du retard, alors faisons retarder nos montres et négligeons la ponctualité. Le temps n’a
strictement aucune importance : dix années ne nous sépareront jamais.


Périples de l’enfance fugueuse,
Tristesse du départ et de l’abandon,
Déception de l’incompréhension,
Partir s’il le faut
Adieu, je ne reviendrai pas,
Je dépose mes pas dans la main du vent,
Je ne sais quelle direction il prend
Car il ne cesse de
Tourbillonner
Comme un larron en foire
Pirouette sur le manège de la vie
Et joue d’entrée ses meilleures cartes
Plus grand est le risque
Plus la vie a de goût
Et après tout la saveur de perdre
N’est pas si amère
Car elle contient le sucre
De l’attente du tour qui viendra
Comme la chance tourne


Aporie verbale : utiliser des mots de peu pour le dire.


Spleen, c’est ainsi qu’on appelle d’un glorieux nom un état qui n’est dû qu’à quelques broutilles, un amour perdu au fond d’ une ruelle dans le dédale de la ville, un chemin perdu et un regard égaré. Quand la lassitude est à son comble et qu’on
lâcherait volontiers cette petite vie qu’on tient au bout de nos bras baissés.


Peindre de fleurs comme un acte de résistance.
Cette image est l’icône contre laquelle je prie.


Je ris avec toi. Je ris de façon insouciante, éperdue, inattentive, distraite, tête en l’air et gorge clamant aux cieux.


Je t’aime d’une façon involontaire, comme l’air qui traverse un corps qui respire, je te vis sans y penser.
Tu accompagnes ma douleur, tu es la force qui me fait l’accepter, tu es le baume qui l’apaise.
Tu es celle qui me réconcilie avec l’autre, tu es celle avec qui il est possible d’être imparfait, tu es celle qui me réconcilie avec mes défauts. Mes défauts sont des instincts nés de blessures et il me vaut mieux que les accepter, car sinon ils se rebellent contre moi et je n’en ai plus aucune maîtrise.
Un baiser de ton sexe et me voilà dans le tumulte, en prise avec mes instincts premiers contre lesquels je lutte pour arriver à te donner quelque chose.
Plaisir de dormir à tes cotés après la bataille, alors que nul n’a gagné
Je ne t’ai quittée qu’après que tu m’aies béni de ta jouissance.
Manger avec toi, te regarder manger, plaisir de la nourriture qui remplit nos bouches, geste simple, te faire manger en prenant de la nourriture du plat, en en faisant une bouchée, et tendre de ma main cette bouchée à ta bouche, du bout des doigts.


Si le feu brûle encore dans mon cœur, si la flamme continue de monter vers le ciel, si elle dégage de la lumière en mon
esprit, alors il y a encore une chance d’y parvenir.




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